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Réflexion

Le Christ dans la photographie contemporaine (1990-2013)

Colloque à l’Université de Strasbourg

organisé par Jérôme Cottin, en partenariat avec l’UFR des Arts de l’Université de Strasbourg, la faculté des Lettres (Histoire de l’art) de l’Université de Lausanne, l’équipe de recherche Histara (Paris, EPHE)

Jérome Cottin et Valérie Etter au vernissage
J. Cottin lors de l’inauguration de l’exposition

 Quelques impressions du colloque, dans rubrique : "Nos rencontres"
 Présentation des 5 photographes, dans rubrique : "Artiste"
Une vidéo sur l’exposition, avec interview des artistes

Argumentaire et des axes de recherche

La photographie contemporaine, quelque soit sa forme (photo d’art, photo de presse, affiches et publicité, élément d’une installation ou performance) et sa nature – argentique ou numérique - est l’un des médias les plus utilisés aujourd’hui, dans la communication médiatique comme dans la création artistique. La figure du Christ y est souvent présente, de manière visible ou métaphorisée. Il s’agira de prendre acte de la diversité des techniques et des mises en scène utilisées autour de cette figure. On se posera de la relation de la photographe avec des images de la tradition chrétienne, dont certaines sont dites « non faites de main d’homme ». Sommes-nous dans la quête modernisée de « la vraie image », ou au contraire dans des réinterprétations postmodernes et postchrétiennes de la figure centrale du christianisme ? Ne serait-ce pas, finalement, le médium lui-même et sa relation au corps humain, qui aurait quelque chose de christique ?

Ce colloque est l’occasion d’inaugurer une collaboration tout à fait nouvelle avec l’UFR des Arts de notre Université, ce qui semble une nécessité vu la thématique. Cette UFR a réagi avec enthousiasme et volonté de collaboration. Ce désir de collaboration et la confiance qui nous est accordée sur un thème traditionnellement hors du champ de la théologie ne peuvent que renforcer la position et la crédibilité de la théologie au sein de l’UDS.

Quatre thématiques ont été explorées :
 1. Le médium dans ses effets iconiques et plastiques. Quelles sont les spécificités du langage et de la technique photographiques (argentique et numérique) par rapport à tout autre médium artistique ? Quel rôle joue le médium photographique dans la mise en évidence de ce sujet en tant que présence ? Quels changements épistémologiques et anthropologiques sont introduits par la numérisation des images ? La numérisation de la photographie change-t-elle la nature indicielle du médium photographique, et donc le rapport au corps ? Y a-t-il un lien – et de quel ordre - entre la technique photographique et les images acheiropoïètes produites par la tradition chrétienne ?

 2. Création et photographie. Cet axe peut se dédoubler en deux démarches complémentaires. Tout d’abord, des chercheurs rendront compte de leur lecture d’œuvres christiques dans la photographie : qu’ont voulu dire les artistes qui ont représenté le Christ sous de multiples formes : inculturé, féminisé, travesti, matérialisé par des signes (croix, crucifix), métaphorisé sous les traits de l’humain souffrant ou d’un simple rayon lumineux ? Pourquoi certains artistes se sont-ils photographiés en Christ (Rainer, Christinat) ? Il s’agira aussi de prendre acte de la multiplication des liens entre photographie, gravure, arts du spectacle, installations et performances. La seconde démarche consistera à écouter les artistes eux-mêmes, et regarder certaines de leurs œuvres in presentia. Cela, afin d’entrer dans une « expérience esthétique », nécessaire pour que les questions théoriques puissent se greffer sur une rencontre optique et immédiate avec le médium photographique, sans les filtres successifs de ses duplications, elles aussi photographiques. Dans cette optique, une rencontre avec des artistes photographes – certains de réputation internationale – (voir fiches) se fera sous la forme d’une table-ronde autour d’œuvres, qui seront exposées dans l’abside de l’église Saint-Paul, face au Palais Universitaire.

 3. Relectures philosophique et théologiques. Outre les effets esthétiques, les photographies christiques convoquent un questionnement de nature philosophique et théologique. Philosophiquement, il s’agit de réfléchir sur les notions de corps (que certains philosophes – les médiologues - considèrent comme étant lui aussi un médium), un questionnement de nature à la fois anthropologique et phénoménologique, dans ses croisements avec la notion théologique de chair. Théologiquement, on se demandera quelle sont les christologies sous-jacentes à ces représentations, et inversement quelles christologies contemporaines peuvent faire écho à ces représentations christiques. Dans une démarche de théologie pratique, on se posera la question : comment ces expressions christiques s’inscrivent-elles dans le climat des nouvelles quêtes spirituelles du début du 3e millénaire ?

 4. Médiatisations et métadiscours. Le médium photographique brouille les notions d’original et de copie (W. Benjamin). Il devient lui-même le support de reproductions en séries, quasi illimitées, par l’intermédiaire des médias électroniques (aujourd’hui, le multimédia), qui sont eux aussi de nature photographie. Certaines œuvres photographiques ou certains sujets christiques sont repris à l’infini, insérés dans d’autres contextes, non plus artistiques, mais communicationnels et médiatiques. Certaines œuvres sont plus connues par leur médiatisation que dans leur réalité première, surtout si elle font l’objet de scandales médiatiques (Cox, Serrano). D’où la nécessité d’étudier aussi cette thématique en faisant appel aux sciences de la communication, aux langages reposant sur le signe analogique et ouverts à la puissance des symboles, et parmi eux au symbole christique (mort de l’innocent, martyre, don absolu de soi, contestation prophétique, symbolique résurrectionnelle).

Ce colloque s’inscrit dans un contexte de questionnements, recherches et créations autour de ce thème. En 2011 : exposition des figures christiques du photographe américain Joel-Peter Witkin à la Bibliothèque nationale de France à Paris ; médiatisation et vandalisations du Piss Christ de Andres Serrano à Avignon ; présence polémique d’une photographie du Salvador Mundi dans une pièce de Romeo Castellucci, et sa reprise médiatique.

Bilan de la réflexion

Ce colloque a eu droit à un écho médiatique important dans les médias nationaux : un article dans le quotidien La Croix (jeudi 18 avril 2013) et une News TV de 3 minutes sur France 2, dans le cadre de l’émission « Présence Protestante », diffusée le 5 mai 2013.
Les 4 axes de recherche ont été traités, les axes 3 et 4 s’étant distingués par une cohérence particulière.
A ces axes s’est ajoutée une table-ronde (que l’on pourrait rattacher à l’axe 2) au cours de laquelle les artistes présents et exposants ont pu rendre compte de leur démarche. Cette table-ronde était présidée par M. J-M Leniaud, actuel Président de l’Ecole nationale des Chartes.

Les points forts du colloque ont été les suivants :
1. Une réelle interdisciplinarité. Cela a été souligné par plusieurs intervenants. Contrairement à de nombreux colloques, où les interventions se succèdent sans grands échanges, celles-ci ont fait l’objet de reprises, débats, approfondissement entre plusieurs disciplines qui n’avaient encore jamais dialogué entre elles. Chaque contribution a pu être suivi d’1/4 d’heure de débat. A plusieurs reprises, des interventions d’un spécialiste d’une matière ont pu faire prendre conscience d’ aspects d’études non envisagés auparavant, grâce à l’intervention d’une autre discipline. Exemple : alors que je posais la question de la pertinence de la pratique de la glossolalie pour un approfondissement théologique, M. Roesz, professeur à l’UFR des Arts, a argumenté en disant que la glossolalie était fréquemment utilisée dans la création contemporaine, en particulier dans les performances et dans les arts du son. Ce sont ainsi les Arts qui revalorisent une pratique biblique totalement négligée d’un point de vue théologique !

2. La présence d’artistes photographes de réputation internationale, présent tout le long du colloque. Ces artistes, dont certains font l’objet d’expositions internationales, ne sont pas simplement venus montrer leurs œuvres ; ils ont participé à l’ensemble du colloque, montrant par là que la réflexion est nécessaire à la création. Par ailleurs, en expliquant leur démarche artistique, ils ont montré à quel point celle-ci s’enrichit de pensées philosophiques, mais aussi théologiques, ou du moins d’une spiritualité héritée de la pensée chrétienne. Il est apparu que la confession ou le milieu d’origine de ces artistes influaient – parfois à leur corps défendant – sur le regard qu’ils portent sur la figure du Christ.

3. Une exposition d’œuvres de ces mêmes artistes, organisée dans le cadre d’un partenariat entre l’UFR des Arts et l’Aumônerie Universitaire protestante (AUP) au foyer du « 7 ». L’exposition n’était pas un « à côté », destinée à distraire les membres du colloque après de longs débats, mais constituait un élément qui avait pleinement sa part dans la réflexion. On n’a en effet pas simplement réfléchi sur la photographie, mais à partir d’elle, de ce qu’elle émet et transmet comme émotion, sensations, messages. Un artiste, par ailleurs professeur à l’UFR des Arts, Jean-Louis Hess, a du reste réalisé une œuvre photographique unique, spécialement pour le sujet du colloque : il s’agissait d’une création photographique (réalisée avec 4 étudiantes qui ont posé nues !) s’inspirant de La résurrection du Greco. Les effets de flou et de granulés ont été réalisés grâce à un appareil photographique russe, possédant une focale exceptionnellement large.

4. Une première collaboration fructueuse entre notre faculté de théologie et l’UFR des Arts. Nos deux facultés, quoique se côtoyant dans le même bâtiment, n’avaient jamais eu l’occasion de collaborer. C’est maintenant chose faite. Nous partageons un élément en commun (en tous cas avec les enseignants d’art qui étaient présents), celui de la valorisation de la mémoire et de l’histoire. Même dans l’art contemporain, la mémoire est nécessaire, parce que cet art réinterprète, recycle, un art plus ancien qui, ultimement, remonte souvent aux sources judéo-chrétienne de notre civilisation. Ces enseignants constatent avec inquiétude que certains étudiants en Arts n’ont plus aucune dimension historique, et ne s’intéressent qu’à ce qui leur est immédiatement contemporain. Entre la théologie et la création contemporaine, on a donc pu découvrir, au moins à ce niveau-là, d’utiles synergies.

5. Une stimulation pour poursuive la collaboration et la recherche entre notre faculté, la faculté des Lettres de l’Université de Lausanne et le groupe de recherche HISTARA (EPHE). A l’issue de ce colloque, un axe de recherche s’est dessiné entre les trois institutions nommées ci-dessus. Un axe de recherche qui s’intéresserait « aux représentations contemporaines dans leur capacité à repenser l’imaginaire chrétien ».

La publication des actes du colloque est en cours.