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Art contemporain

Les vitraux de l’église (simultanée) d’Ernolsheim-les-Saverne (67)

par Jean Haubenestel

Dans l’église (simultanée) d’Ernolsheim-les-Saverne, dans le Bas-Rhin, des vitraux contemporains de F. Bruetschy ont été installés, et ont créé une certaine polémique. L’un des maîtres d’oeuvre de ce projet, J. Haubenestel, revient sur la Genèse de ce projet et en raconte l’histoire.

NB : on appelle "église simultanée" (ou Simultaneum), une église qui est à la fois protestante et catholique : souvent, comme ici à Ernolsheim, le chœur est catholique et la nef protestante (mais ce peut être aussi le transept et la nef). Cette répartition a été imposée aux protestants par Louis XIV, après l’annexion de l’Alsace à la France.

L’église (simultanée) d’Ernolsheim-lès-Saverne (67) et ses nouveaux vitraux

Histoire d’une démarche

Je souhaite, à travers ce témoignage, inviter le lecteur à réfléchir sur la difficulté d’introduire l’art contemporain dans une église de village.

« Terre Sainte »

Ernolsheim-lès-Saverne, mon village natal, est adossé aux Vosges centrales. L’église, avec son clocher à quatre étages et sa nef massive, se situe en lisière de forêt sur un promontoire, véritable « Terre Sainte » comprenant le bâtiment entouré de l’ancien cimetière, le presbytère et sa ferme, le jardin et le verger. Visible de loin, elle domine un habitat compact de maisons serrées le long de la rue principale. La population, 600 habitants, est majoritairement protestante.

Dans ce lieu vivant de culte, c’est le chœur, caché à l’arrière de la nef, avec ses trois baies géminées vitrées (6 m2), qui fut l’objet du projet de vitraux.

Une église transformée : XVe et XIXe coexistent

Mentionnée dès 1178, l’église appartient à la riche abbaye bénédictine de Neuwiller, son patron est saint Michel. Le village passe en 1280 aux seigneurs de Hanau-Lichtenberg et adopte la Réforme luthérienne en 1545. En 1729, l’église devient simultanée : usage de la nef aux protestants, du chœur aux catholiques (pour quelques familles). En 1841, la nef étant devenue trop exiguë, la municipalité décide de la démolir pour en reconstruire une plus spacieuse, une « Predigtkirche » : ses grandes verrières « blanches » offrent la lumière et le spectacle de la nature à toute heure du jour et en toute saison. Le chœur XVe siècle, espace restreint et assez sombre, est déplacé contre le mur gouttereau ouest. Le clocher XIVe siècle est surélevé et une flèche octogonale remplace le toit en bâtière.

Au départ, un problème de nettoyage

En 2001, lors de la toilette annuelle de l’église effectuée par les parents des confirmands, l’état des verrières du chœur a été signalé : grises et sales, elles sont impossibles à nettoyer. L’idée naît de les remplacer par de nouvelles et le conseil municipal est saisi. Les choses s’accélèrent en vue du financement : vente d’un bien paroissial, organisation de concerts, appel à la créativité locale y compris les écoliers… Des devis accompagnés de photocopies couleur sont proposés par des artisans verriers : verre type cathédrale de couleur, vitraux sous plomb avec répartition au choix, losanges, ronds, cives, ou composition…

Quand j’entends parler tardivement de ce projet, je fais part de mes réflexions au maire. J’ai en tête les magnifiques vitraux de Pierre Soulages à Conques, de ceux de Claude Viallat à Aigues-Mortes, ou en Alsace ceux de Gérard Lardeur à Saint-Thomas et Wissembourg, ou François Chapuis à Guebwiller. Mon idée, c’est de faire confiance à un créateur et de placer l’œuvre dans la culture contemporaine. Je suis convaincu que le non-figuratif peut exprimer le mystère chrétien et ouvrir sur la transcendance.

2004 : mise en place d’un groupe de travail

Je lui propose de créer un groupe de travail. Ce qu’il fait en mettant en place une commission « Vitraux pour le chœur de l’église » composée d’une douzaine de membres représentatifs (pasteur et curé, paroissiens protestants et catholiques, conseillers municipaux, membres de la chorale…). Il désigne pour la présidence un adjoint motivé, et me charge d’animer le groupe.

Ce groupe œcuménique se réunira une douzaine de fois jusqu’à l’aboutissement du projet en juin 2010. Aucun de nous n’avait une qualification artistique, une compétence particulière en ce domaine.

Les représentations

Lors de la première rencontre, nous avons travaillé sur les représentations : que suggère pour vous le mot vitrail ? Les mots-clés retenus étaient : lumière, beauté, spiritualité, transparence, couleurs… On évoqua la technique du vitrail au plomb, les figures de saints, les symboles chrétiens, les blasons… Aucune des lois propres à l’art du vitrail n’était apparue : la solidarité entre vitraux et architecture, l’importance et les vibrations de la lumière selon le moment du jour et de l’année, le style de l’œuvre et de l’artiste.

Un temps pour informer et sensibiliser

Ce temps nous paraissait nécessaire. Nous avons invité successivement des experts : Christiane Wild-Block, chercheur au CNRS dans le domaine du vitrail, les commissions d’art sacré des Églises protestante (avec le pasteur Yves Parrend) et catholique (avec l’abbé Jean-Luc Lorber), Udo Zembok, artiste verrier enseignant à Chartres. Ce dernier a donné une conférence publique avec projections sur ses créations de vitraux contemporains.

Pendant toute cette période, les membres du groupe visitent individuellement ou en groupe des vitraux d’église. En particulier, ils ont pu voir une palette de vitraux réalisés par dix peintres de renom lors de la reconstruction de la cathédrale de Saint-Dié : Jean Bazaine, Alfred Manessier, Jean Le Moal, Geneviève Asse, Jacques Bony, Elvire Jan, Claire de Rougemont, Gérald Collot, Dominique Gutherz, Lucien Lautrec. Des prospectus, des ouvrages d’art sur le vitrail contemporain ont circulé, des recherches ont été faites sur Internet.

Le débat, les difficultés

Les avis étaient partagés. Simples vitres ? Vitraux colorés ? Vitraux à motif religieux ? Vitraux décoratifs ? Le débat était ouvert, non sans polémique assez vive au sujet de l’art contemporain (il en fut de même pour Manessier aux Bréseux en 1948, ou Soulages à Conques en 1987).

Cette réticence à l’art contemporain s’exprima ainsi : pouvait-on intégrer l’art d’aujourd’hui dans un chœur du XVe siècle ? Allait-on transformer l’église en musée d’art contemporain ? Pouvait-on prendre le risque d’une œuvre incomprise ? Il y avait ceux attachés à l’art médiéval : leur préférence allait au plomb et aux couleurs vives. Une minorité pensait remettre des verres blancs pour préserver la vue extérieure et le faible éclairage intérieur du chœur. Et quel serait le coût ? « Un grand artiste coûtera plus cher ». Des artisans de la région étaient recommandés. D’autres dépenses semblaient plus urgentes…

2005 : l’appel au CEAAC

Face au blocage quant à la décision à prendre, j’ai décidé de faire appel au CEAAC (Centre Européen d’Actions Artistiques Contemporaines), association partenaire de la Région Alsace, du Conseil Général du Bas-Rhin et de la Ville de Strasbourg. Sa mission : développer l’art contemporain dans l’espace public. Initiateur d’une création de vitraux pour la chapelle de Champenay/Plaine, il a retenu notre projet en raison de la valeur du site et de la qualité du dossier déposé.

« Les difficultés ne manquèrent pas : l’attachement à l’image traditionnelle du vitrail, à la production locale, aux symboles théologiques… et le manque de ressources financières. Il fallut du temps, et c’est par la ténacité d’une petite équipe que le projet aboutit. » (Paul Guérin, chargé de mission)

Le choix de l’artiste

Notre groupe a proposé une demi-douzaine de noms d’artistes qui ne furent pas retenus. Le conseil scientifique du CEAAC, composé de directeurs de musées, de collectionneurs, de chargés de mission, en a proposé trois : Claude Rutault, Laurent Saksik et François Bruetschy. Le dialogue et les rencontres avec Évelyne Loux, directrice du CEAAC, et Paul Guérin, chargé de mission, ont été déterminants dans la prise de décision finale. C’est la maquette de François Bruetschy qui a fait l’unanimité dans le groupe.

« Né en 1938, François Bruetschy a longtemps résidé à Mulhouse où il enseignait à l’École des Beaux-Arts avant de s’installer dans la Drôme, à La Garde Adhémar où il travaille désormais. Sa formation artistique reçue à Paris conjoint la peinture, qu’il étudia à l’Académie Charpentier et à l’Atelier de la Grande Chaumière, et l’architecture, à l’École nationale supérieure des Métiers d’Art. » (Paul Guérin)

Le projet de l’artiste

« La spécificité du simultaneum de l’édifice milite à mon sens pour la retenue et la discrétion dans l’expression de la forme et du contenu de l’œuvre. Les disparités de la nef et du chœur, respectivement du XIXe et du XVe, l’une dans sa simplicité austère, l’autre dans sa préciosité, font de cette église un objet architectural singulier. Les baies qui nous occupent devront donc instituer une unité lumineuse qui tienne compte des différences. L’œuvre devra amorcer des solutions de continuité avec les éventuelles futures verrières de la nef tout en fonctionnant avec les verrières actuelles » (François Bruetschy)

L’artiste prend en compte le double mouvement axial et ascensionnel, la lumière extérieure très tamisée, le sens apporté par l’évocation de saint Michel.

« Dans son ensemble, le projet se présente en trois surfaces grises correspondant aux trois ouvertures. Ces gris sont travaillés à la façon d’une peinture par des touches de différentes intensités, afin de produire une vibration sensible. Cette vibration doit entrer en résonance avec la lumière et les ombres de l’environnement extérieur. » (François Bruetschy)

Ce qui a séduit le groupe, c’est la composition dépouillée avec ses lignes réduites à l’essentiel qui font l’unité des trois baies. L’évocation de saint Michel, l’archange biblique, a satisfait catholiques et protestants. Enfin les couleurs retenues ont été appréciées.

La réalisation a été confiée à Philippe Simonin, artisan verrier installé à Hindisheim. On remarquera que le verre n’est pas uni, le matériau a été voulu inégal et vivant. Une même lumière donne aux trois vitraux photographiés ensemble, des teintes différentes.

Autour du projet

Un tel projet, ambitieux pour une petite commune sans grandes ressources, n’aurait pu se réaliser sans un concours financier exceptionnel. La pose des vitraux nécessitait au préalable la restauration délicate des encadrements en grès des baies gothiques. Nous avons fait appel à la Fondation du Patrimoine en ajoutant à ces travaux la remise en état de l’entrée de l’église : auvent, tympan et escalier. La souscription publique a été un succès : mécénat du Crédit Mutuel (région de Saverne), dons d’une dizaine d’entreprises et d’une centaine de particuliers.

Grâce au CEAAC et à la Ligue de l’Enseignement, une action éducative a été menée dans les écoles : sensibilisation à la notion de patrimoine, atelier d’initiation au vitrail, travail photographique. Un concours photo grand public « d’Kirich im Dorf » (l’église en son village) a été organisé. Aussi, le vernissage le dimanche 27 juin 2010 a été couronné de succès : concert, présentation de l’œuvre par l’artiste, exposition des travaux d’enfants et des photos sur le patrimoine. L’œuvre de François Bruetschy figure désormais sur la « Route de l’art contemporain en Alsace » créée par le CEAAC.

Jean Haubenestel