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Réflexion

VIII. L’art chrétien des autres continents

Si en Europe il n’est plus guère possible ni pensable de parler « d’art chrétien » (même s’il y a par ailleurs des chrétiens qui sont artistes), il n’en va pas de même dans les autres continents. En Afrique, Asie, Amérique du Sud, Australie, l’art chrétien se porte bien. A l’image de la vitalité des Eglises dans ces pays. Pourquoi une telle différence entre ici et là-bas ? On pourrait trouver plusieurs raisons :

Dans ces continents, le christianisme est récent ; et il n’y a pas de tradition d’un art chrétien qui a marqué les siècles et dont on chercherait à se démarquer. C’est là sans doute une chance, autant pour l’art que pour le témoignage chrétien
Par ailleurs, dans nombre de pays non occidentaux, l’art se confond avec la vie. Il n’est pas considéré comme un agrément ou un luxe au service des nantis. Il n’y a pas d’élitisme de l’art. L’art, c’est tout simplement une manière d’être au monde, une attitude d’ouverture face à la vie, un accueil de l’humain avec ses 5 sens, mais aussi avec une expression spirituelle qui fait partie intégrante de la personne. L’art, la vie, la croyance sont des aspects différents d’une même réalité. On ne peut les séparer.

L’art sert également à faire le lien entre le christianisme et la culture propre du pays. Il participe à l’inculturation de la foi. Le christianisme est venu d’Occident ; ces pays l’ont reçu comme un cadeau, mais il était marqué par la culture des donateurs. Or le message chrétien est universel, c’est-à-dire aussi particulier : ces pays veulent recevoir et vivre l’Evangile avec leurs mots, leurs traditions, leurs représentations, leur culture. L’art, sous toutes ses formes (peinture, danse, expressions folkloriques, musique) est, comme la langue, un élément important de cette appropriation du christianisme dans une culture particulière.

Ce n’est pas tout. Dans un certain nombre de pays en proie à la dictature, à la corruption ou la guerre civile, cet art chrétien est engagé humainement, éthiquement et parfois politiquement. On voit alors des Christs noirs ou jaunes, des décors privilégiant les architectures traditionnelles, la relation avec la terre « nourricière », les travaux agraires. Mais nous sommes loin d’une vision paradisiaque. Cet art dénonce aussi l’attrait de l’argent, l’inégalité entre riches et pauvres, l’exploitation des ressources par les multinationales, le non respect des droits humains les plus élémentaires, l’anonymat et la misère dans des mégapoles tentaculaires. Un théologien Sud Africain, John de Gruchy, a ainsi pu dire que l’art était un des éléments essentiels pour aider à la construction d’une société multi-éthnique, après les années d’apartheid qui ont marqué ce pays.

Quels sont les figures et les lieux qui émergent dans cet art chrétien non occidental ? Principalement l’Asie, avec plusieurs pays, comme la Corée du Sud, l’Indonésie, le Japon, la Chine, les Philippines, l’Inde. Une Association des artistes chrétiens d’Asie dirige plusieurs centres d’art ; son site Internet témoigne de son dynamisme [1].

Quelques noms d’artistes chrétiens asiatiques et australiens, de réputation internationale : en Inde, Salomon Raj, est à la fois poète, musicien, graveur et peintre. Ses dessins sur batik s’inspirent des récits bibliques. Dans l’île de Bali, Nyoman Darsane, hindou converti au christianisme, peint des motifs bibliques dans un contexte balinais, marqué par le mouvement de la danse. En Australie, Miriam-Rose Ungunmeer utilise les symboles traditionnels des peuples arborigènes, pour exprimer des émotions religieuses et aller au-delà de l’apparence extérieure des objets et des personnes. En Chine, Zhang Wanlong, membre du séminaire théologique Nanjing, transforme les récits bibliques en objets symboliques ; quant à He Qi, peintre et théologien, il est l’auteur d’une œuvre considérable, très connue aux USA. Au Japon Sadao Watanabe, artiste connu en Europe et récemment décédé, fait de la Bible l’une de ses principales sources d’inspiration artistique.

Ces œuvres non occidentales nous délivrent un double message : ce sont des témoignages de foi, et en même temps d’authentiques œuvres d’art. Elles réussissent à tenir ensemble ces deux dimensions - artistique et biblique - que notre culture a séparé, mais qu’elle retrouvera peut-être un jour.

Mino Cerezzo, peintre de l’Evangile dans la rue [2]

Mino Ceresso est un artiste qui vit à Lima, au Pérou, mais qui est actif dans de nombreux pays d’Amérique du Sud . Il s’est converti au christianisme aux Philippines, puis est entré dans les ordres. Dominicain, il transmet l’Evangile par la peinture, pour les populations avec lesquelles il vit, c’est-à-dire les pauvres et les défavorisés. On ne s’étonnera pas que sa peinture soit militante ; elle prend position (pour la paix, pour les pauvres), comme l’a fait Jésus dans le Sermon dans la plaine (Luc 6, 20-26). Elle place le spectateur (qui est aussi auditeur de l’Evangile) dans la nécessité de choisir pour ou contre Jésus, pour ou contre la vérité de Dieu. Un choix qui a des conséquences éthiques importantes, dans des pays rongés par la corruption, la violence, la guerre civile, et maintenant la faim et l’extrême pauvreté.

Mino Cerezzo refuse pourtant d’être qualifié de « peintre de la théologie de la libération » : il souhaite que son art soit affranchi de toute idéologie politique et religieuse. Sa peinture parle de Dieu à l’homme, tout simplement. Elle n’est fixée dans aucun lieu : on la trouve sur les murs des églises, mais aussi dans la rue, sur les palissades, dans les murs qui entourent des bâtiments religieux ou publics. Sa peinture est à la fois chrétienne et humaine : elle dit l’Evangile, mais aussi la fraternité entre les hommes, entre les peuples. Le Christ peint par Mino Cerezzo a au moins trois visages différents : il peut être proche du visage occidental, ce peut être un personnage afro-américain, mais il a aussi les traits hérités des civilisations sud-américaines. La figure du Christ de Mino Cerezzo change en fonction des traits dominants des peuples sud-américains que l’artiste côtoie. Il est à leur image.

Il a dit :

«  Nous, chrétiens minoritaires, devons prêcher l’Evangile et témoigner de notre foi par le moyen de l’art, qui sollicite l’œil et l’oreille  »
Salomon Raj, artiste indien.

J.Cottin

Pour poursuivre...
 Christ for all People. Celebrating a World of Christian Art, Ron O’Grady (éd.), Asian Christian Art Association, 2001 (diffusion en Europe : COE, Genève).