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Bibliothèque (1990-2022)

Passion

Eaux fortes originales et bois dessinés.

Auteurs : Georges ROUAULT et André SUARES.

Après avoir réédité en 2004 le fameux Miserere de Rouault, devenu inaccessible, et publié à l’origine en édition restreinte in-folio pour les seuls spécialistes d’ouvrages d’art de luxe, les éditions du Cerf réitèrent en publiant un ouvrage devenu lui aussi introuvable, et datant des années 1927-1939.

Passion est une méditation poétique sur le sens de la Passion du Christ pour les hommes d’aujourd’hui (c’est-à-dire d’il y a en fait presque un siècle), due à la plume de l’écrivain André Suarès, ami intime du peintre catholique. De ce projet éditorial combinant la l’écriture et l’image, on retiendra surtout la volonté explicite de ne pas faire de l’image une illustration du texte, mais de lui donner une place propre. Si les planches de Rouault sont donc en correspondance avec le texte, elles sont également relativement autonome, et peuvent très bien signifier par elles-mêmes, indépendamment de tout texte.

Autre caractéristique à souligner : la collaboration artistique entre un artiste catholique convaincu, et un écrivain athée. L’art devient ainsi le vecteur d’une rencontre entre la foi et l’incroyance, l’Église et le monde. Rouault sur Suarès : « S’il n’avait pas la foi, je ne cherchais pas à en tirer vanité. Je pensais que nous pouvions traiter ensemble un des grands thèmes qui m’a toujours occupé, celui des souffrances et de la mort du Christ et cela sans que l’un d’entre nous eût rien à sacrifier à l’autre de ses convictions personnelles ou de l’interprétation de certaines paroles ou de certains fait rapportés par l’Évangile » (Avant propos). Inutile de souligner l’actualité, au début du 21e siècle, d’une telle démarche.

Si le texte de Suarès est d’un lyrisme parfois daté, en revanche les planches de Rouault frappent par leur modernité esthétique. Ces planches gravées, soit sur cuivre soit sur bois, en couleur ou en noir et blanc - avec d’impressionnants dégradés de gris - résument le style esthétique et les choix éthiques de l’artiste : un Christ sobrement représenté - parfois jusqu’à devenir un simple signe humain parmi d’autres humains - se mêlant à des représentations de personnages délaissés ou méprisés par la société : des travailleurs, des exclus, des miséreux, des prostituées. L’être humain se confond parfois au paysage, lequel est réduit à quelques traits caractéristiques : un arbre, une route, une cheminée d’usine. L’écriture esthétique de Rouault se confirme ici : les humains sont souvent de dos, tandis que seul le Christ est de face ; le soleil se présente comme un double cosmique de la présence du Christ ; les traits des personnes ne sont pas individualisés, mais deviennent de signes d’une Autre présence, celle du Dieu incarné parmi les humains.

Une très belle méditation en images du mystère de la foi et de la présence du Christ parmi nous.

Jérôme Cottin