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Portraits d'artistes

Françoise Bissara-Fréreau

Au seuil de la Parole et du Silence
16ème semaine du Marais Chrétien (18 au 28 mars 2013)

Avec quels mots décrire cette nécessité intérieure qui sourd de mon plus profond intime
autant que de la lecture de l’Écriture sacrée qui devient vivante dans le champ de ma Mémoire, de ma sensibilité,
de son intériorisation et me projette dans un silence.
C’est aussi l’urgence d’un cri que Jean-Louis Chrétien appelle « la blessure d’amour », celle qui bouleverse l’existence.
Cette blessure forme en elle-même un événement, l’ouverture d’une « porte » à l’autre, d’un pas à l’autre.
A chaque porte, la question s’aiguise.
C’est pourquoi je confie aux seuils de ces portes les trames, les empreintes, les formes qui surgissent, les traversées.
Le chant et sa source sont peut-être alors dans les pas eux-mêmes.

vidéo sur l’exposition

Françoise Bissara site de l’artiste
Novembre 2012

Allocution de Jérome Cottin lors du vernissage de l’exposition :

Entre Françoise Bissara-Fréreau et moi, il y a la connivence de longues années de compagnonnage et d’apprentissages réciproques. Si elle fut mon élève à l’Institut supérieur de théologie des Arts (Institut catholique de Paris), j’ai de plus en plus l’impression de devenir son élève, à l’écoute de son œuvre silencieuse, qui parle et me parle.
Si je voulais résumer d’un mot l’activité artistique de Françoise Bissara-Fréreau, ce serait la notion de passage :
  Passage entre l’Orient et l’Occident : de par ses ascendants, Françoise Bissara-Fréreau (qui est née au Caire) se situe à l’intersection des deux traditions spirituelles et de l’image, celle de l’Orient et celle de Occident. Le rapport de ces deux aires géographiques de la chrétienté à l’image fut différent : pour l’Orient, l’image est un transitus entre la matérialité, dont il faut apprendre à se détacher, et la vérité, qui est de l’ordre de l’Idée, de l’invisible et de l’immatériel. L’image est un donc un état provisoire, qui ne vaut que parce qu’elle conduit à la vérité. Pour l’Occident au contraire, l’image est une matérialité pleine et entière, dans la mesure où sa vérité (et donc aussi sa vérité spirituelle) se donne dans la matière même, qu’il faut pouvoir accueillir d’abord, interpréter ensuite. Il n’y a pas de métaphysique de l’objet. On trouve, dans l’œuvre polyphonique de notre artiste, ces deux manières différentes d’accueillir l’image, dans ses relations au spirituel : il est porté par l’objet, mais il se situe aussi au-delà de l’objet.
  Passage entre l’existentiel et le spirituel : les titres et la symbolique des œuvres de Françoise Bissara-Fréreau se situent d’abord au niveau d’une expérience existentielle, l’expérience de la vie : ainsi est-il question de porte, de seuil (des lieux de passage), d’ombre, de lumière, de souffle, de trace. L’humain est accueilli avec sa densité existentielle, il est appelé à faire, face à ces œuvres, une expérience totale d’accueil de ses sens. Mais les sens conduisent au sens. Derrière ces réalités existentielles s’en profilent d’autre, de nature plus spirituelle. C’est pourquoi d’autres œuvres ont aussi des titres bibliques ; je pense aux Béatitudes, aux Psaumes. Ou alors, le même titre et la même oeuvre peuvent être conjugués de deux manières, l’une plus existentielle, l’autre plus spirituelle. La Bible, d’ailleurs, ne sépare pas ces deux niveaux, puisque c’est dans l’histoire concrète d’hommes et de femmes que Dieu a choisi de se donner à voir et à entendre, de se « révéler » aux humains.
  Passage entre le visible et le lisible : les œuvres de Françoise Bissara-Fréreau se regardent, se contemplent, mais parfois aussi se lisent. Si on fait attention, on remarquera que dans plusieurs réalisations peintes ou sculptées, des caractères se trouvent imprimés dans la matérialité de l’œuvre, parfois au revers : versets bibliques, lettres hébraïques, ou tout autre élément graphique qui relève de ce que le linguiste américain C.S. Pierce appelle le signe (ou symbole), c’est-à-dire un signe visuel codé, qui se lit avant de se regarder. Notre artiste utilise aussi la notion de trace (ou empreinte), qui est le troisième signe identifié par C.S. Pierce (en plus de l’image et du signe), et qui a la particularité de faire corps avec son référent. Nous avons ainsi, dans cette œuvre de multiples passages d’un signe vers un autre ; signes de nature différentes, mais qui s’inscrivent tous dans l’effort de l’humanité de rendre compte du mystère de l’univers où les objets ne se contentent pas d’ « être », d’exister, mais où ils font sens. A travers la multiplicité de ces signes, c’est l’alliance de la nature et de la culture qui se trouve exprimée.
  Passage d’un matériau à l’autre. On sera, enfin, attentif à la diversité des matériaux utilisés : bronze, papier, verre, sachant que plusieurs œuvres passent par le processus du moulage, ce qui implique une coque, une moule, et qui suppose un travail de complémentarité entre le vide et le plein, entre une forme qui fait ou enveloppe l’œuvre et une autre qui est l’œuvre. Ainsi notre œil navigue à sa guise entre ces différents matériaux, et voit-il autant des transitions que de ruptures entre ces matériaux, dont certains expriment la fragilité, d’autres la pérennité ; certaines l’instant, d’autres l’éternité.
Je terminerai par une dernière remarque. Sommes-nous face à un art irénique ? Un art qui apporte et produise la paix ? Dans un certain sens, oui. Les œuvres de Françoise Bissara-Fréreau sont méditatives, traversées par le souffle de l’Esprit. Mais cette paix extérieure est aussi le résultat d’un long combat intérieur de leur auteur. Ces réalisations artistiques témoignent également, mais en creux, d’une vive critique de notre société de l’image et de la consommation ou, ce qui revient au même, de la consommation des images. Ainsi la méditation visuelle suppose du temps, et s’oppose au regard distrait du consommateur d’images. La compréhension de l’image comme signe suppose une démarche de symbolisation qui va au-delà de la simple et banale figuration (ou re-présentation, ou copie du réel), dont le seul souci serait de coller le plus fidèlement à la réalité de ce qu’elle montre.

Paris, le 15 mars 2013

Jérôme Cottin

Professeur de théologie pratique
Faculté de théologie protestante
Université de Strasbourg

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