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Soutenance de l’habilitation à diriger des recherches de Jérôme Cottin (novembre 2006)

à la faculté de théologie protestante de l’université Marc Bloch de Strasbourg

Soutenance de l’Habilitation à diriger des recherches de Jérôme Cottin, le 6 novembre 2006 à l’Université Marc Bloch de Strasbourg, sur le thème : "Théologie et esthétique : de la Réforme à l’époque contemporaine"

Compte rendu d’Evelyne et Jean-Daniel Zuber

Le jury était composé des Professeurs suivants :

Les cinq membres du jury


 Mme Elisabeth Parmentier, rapporteur et directeur de recherche de Jérôme, professeure à la faculté de théologie protestante Marc de l’université Bloch de Strasbourg
 Mr Felix Mozer , doyen de la faculté protestante de Théologie de Neuchâtel, et professeur de théologie pratique
 Mr Horst Schwebel professeur à la faculté protestante de l’université Philippe de Marbourg, et directeur de l’institut d’art contemporain d’église de cette université et de l’EKD (Evangelische Kirche in Deutschland).
 Mr Frank Müller , professeur d’histoire de l’art moderne à la faculté de lettres de l’université de Nancy II.
 Mr François Boespflug, président du jury, professeur à la faculté de théologie catholique de l’université Marc Bloch de Strasbourg.

Pour l’argumentaire de Jérôme je vous renvoie au document qu’il nous a laissé : « Théologie et esthétique, de la Réforme à l’époque contemporaine. »

Le candidat

Voici quelques notes prises à la volée dans son exposé introductif de 20 min :
Jérôme a opéré une confrontation entre l’image et la fidélité à l’Ecriture :

  une lecture littérale et naïve de l’Ecriture fait de l’image une « idole »
  l’histoire avec la Réforme dénonce l’enfermement du sacré dans l’image
  Dans l’élaboration dogmatique des 10 commandements, Calvin isola l’interdit de l’image-idole, en lui donnant le statut d’un commandement à part entière.
  La tradition postérieure à la Réforme a durci encore cette position (catéchisme de Heidelberg) Bultmann, Barth, Bonhoeffer sont restés sur ce durcissement.
  A la fin du 20è siècle apparaît une approche plus ouverte. La lecture de la Bible actuelle permet de proposer une autre lecture de l’image qui ne s’oppose pas à l’Ecriture mais qui la renforce.
On assiste donc aujourd’hui à :
  Une approche historico-critique des différentes traditions dans un même texte qui amène moins de radicalisme et plus d’ouverture
  une mise en évidence du rôle des rédacteurs ultimes des récits sur Jésus, qui valorise l’acte d’interprétation.
  La mise en avant, grâce à l’herméneutique philosophique de Paul Ricœur, des figures narratives, proches de l’interprétation et de l’appropriation des récits de fiction.
  L’utilisation de l’image plastique pour faire comprendre le récit comme dans un scénario filmique, grâce à la narratologie (cf « l’Ecriture vive » de E. Parmentier).
  Chez Calvin, conclut Jérôme, l’image est pédagogique et eschatologique : « Nous pouvons contempler Dieu dans toutes ses créatures. En l’homme nous voyons comme sa Face. »

Pause café pour le public

Commentaires et discussions des différents membres du Jury avec Jérôme
(Là encore je tiens à m’excuser auprès de vous, des membres du jury et de Jérôme, des lacunes et peut-être des erreurs commises dans le relevé de ces propos par l’auditrice non-spécialisée et un peu stressée, que j’ai étée.)

Mme Elisabeth Parmentier relève la remise en question fructueuse du travail de Jérôme, sa bibliographie très exhaustive qui allie une grande valeur académique à un effort de vulgarisation, en particulier à propos de l’Apocalypse de Dürer.
Le travail de Jérôme présente trois enjeux :
  l’art chrétien et l’art contemporain : les périodes historiques traversées sont énormes, mais les dossiers explorés mettent l’accent plus sur l’herméneutique de l’image dans le présent et l’avenir et montrent une position originale et optimiste de Jérôme.
  Le but de cette recherche est de valoriser la gratuité de l’esthétique, de l’art pour l’art. Que recherche l’art chrétien, l’esthétisme ou la spiritualité, le témoignage chrétien ? La quête artistique est-elle existentielle ou spirituelle chrétienne ?
  L’art chrétien deviendrait-il référence biblique ?
Réponse :
  Qu’est-ce que l’art contemporain ? C’est un terrain mouvant, qui présente le risque de l’interprétation. C’est un défi pour la théologie pratique, car l’art contemporain n’a pas de message en lui-même, c’est le théologien qui donne le sens de l’œuvre.
  Le défi lancé au théologien qui est au service de l’Eglise, consiste
 à recevoir l’art pour ce qu’il est. Jérôme lance une invitation à l’écoute de la part de l’Eglise qui a trop voulu diriger l’art.
 à faire découvrir la Bible et le message chrétien par le moyen de l’art.

Question de E. Parmentier :
Comment revenez-vous au message biblique, par analogie ou autres processus de pensée ?
Réponse : La potentialité contestataire de l’œuvre contemporaine contre l’Institution Ecclésiale ou le Pouvoir est parallèle pour moi à la contestation prophétique biblique. J’utilise plus les clés d’interprétation bibliques que la tradition iconographique chrétienne. La théologie pratique aujourd’hui préfère laisser l’œuvre d’art parler d’elle-même.

Question de E. Parmetier :
Comment avez-vous évolué depuis votre début, dans la conception de la relation entre l’image et le message théologique ?
Réponse : J’ai été influencé par Henry Mottu, barthien, lequel a étudié aussi bien des thèmes classiques de la "théologie dialectique" que des thèmes nouveaux, inexplorés, comme la théologie noire américaine, la religion populaire, Gramsci etc. En explorant l’art, je me suis situé du côté de Karl Barth plutôt que de Paul Tillich, pour affirmer un message biblique clair, tout en restant ouvert au monde. Ces deux perspectives - kérygme, annonce de l’Evangile d’un côté, ouverture au monde (y compris non chrétien et non croyant de l’autre - ne sont à mon avis pas incompatible. Il faut juste bien les articuler l’une à l’autre.

Mr Frank Müller relève le manque de rigueur dans la forme du document de Jérôme, et l’absence d’une biographie intellectuelle qui retrace le cheminement de Jérôme pour arriver à s’intéresser à l’image.
Pour le contenu, Mr Müller pose une question à propos des articles sur la Réforme anciennement publiés par Jérôme : Pourquoi et comment les a-t-il retravaillés ?
Mr Müller reconnaît la maîtrise de l’analyse iconographique de l’Apocalypse de Dürer, du thème Loi et Evangile chez Luther et Cranach, et de "L’image dans la tradition protestante". Une précision serait nécessaire sur le sens du mot « iconoclasme » qui ne doit pas être sacralisé et devenir une « idolâtrie inversée » : est-ce une manifestation anticléricale, antireligieuse ou simplement athée ? L’art abstrait est-il iconoclaste ?
Réponse : Jérôme établit un rapport entre le refus de la présence réelle dans l’eucharistie et le refus de l’image chez Zwingli et les autres dissidents de la Réforme du 16è siècle, et cite le « Retable de Montbéliard « exposé au Kuntsmuseum de Vienne : tout l’Evangile en images sur 153 panneaux, reproduits par FMR dans une édition de la Bible.

Le public débat aussi

Mr Félix Moser a trouvé quatre apports dans la thèse de Jérôme :
 La mise en consonance réciproque d’une théologie de la Parole et de la nécessaire autonomie de l’art.
 Une véritable herméneutique de l’image.
 Le recensement de beaucoup d’ouvrages qui donne un aspect didactique au travail de Jérôme
 Une méthode de travail à partir des exemples qui permet d’entrer en matière directement.
Mr Moser formule ensuite les critiques suivantes :
 Peut-on séparer l’œuvre d’art du regard que l’on porte sur elle ? Comment maintenir un regard contemplatif dans un monde surmédiatisé ?
 L’œuvre d’art contemporain a une dimension d’interpellation ou de scandale, mais on éprouve de la gêne devant cette provocation lucrative. Quelle est l’articulation entre la désacralisation et le sacré, qui revient quand on le chasse ? La provocation est sacralisée aujourd’hui, à cause de la culture nihiliste et antichrétienne actuelle ! Y a-t-il provocation culturellement et politiquement correcte ?
Réponse :
 la première question pose le problème du statut du spectateur : c’est lui qui fait le sens de l’œuvre d’art contemporain. Il y a différenciation entre l’image figurative qui donne le sens et enferme, et l’art abstrait qui résiste à l’envahissement de l’image en libérant la parole. C’est une démarche parallèle à ce que fait la Parole : le lecteur la reçoit et elle prend sens pour lui.
 La provocation de l’œuvre contemporaine est un des enjeux de société, comme on l’a vu avec les caricatures de Mahomet, ou l’affiche du film Amen, qui allie la croix chrétienne et la croix gammée. Cette alliance n’est pas une création mais une reprise d’une image historique sous le 3ème Reich.

Mr Moser : Comme protestants n’avons-nous pas trop confiance dans l’interprétation de l’auteur ? La théologie de l’intention peut contredire la théologie de la réception. Etre artiste ou cinéaste, n’est-ce pas aussi être responsable des effets. Aujourd’hui le christianisme est toléré tant q’on critique l’institution.
Jérôme : Pour qu’une analyse soit valable, il faut tenir compte de l’intention de l’auteur et de l’interprétation, du contexte de la réception.

Mr Moser : Dans le protestantisme, c’est une illusion de pouvoir désacraliser. Pour Jérôme, la provocation est-elle sacralisée ?
Jérôme : Dans le contexte français qui aime la provocation, les enjeux sont différents de ce qui se passe en Suisse. La provocation ressort de la création contemporaine, et devient moindre dans ce contexte général, bien qu’il faille aller toujours plus loin dans la provocation pour interpeller. Où est la limite ? J’y vois la même démarche que dans le prophétisme biblique.

Mr Moser : La grande différence, c’est que dans le prophétisme biblique, on ne se proclame jamais soi-même.
Quelle est la place du commentaire ? Amoindrit-il ou renforce-t-il l’émotion de la réception ?
Jérôme : Pédagogiquement, il doit y avoir un moment de silence devant l’œuvre avant de faire un commentaire. Mais, conditionnés par le « comprendre », on n’arrive pas à avoir de choc émotionnel sans avoir le sens de l’œuvre ! Dans la liturgie, il en est de même : on annonce toujours ce qu’on va faire avant de le faire !

Mr Moser : Quelle est votre vision optimiste de l’histoire de la création artistique ?
Jérôme : La création post-moderne n’avait pas de message, mais la création contemporaine cherche le sens et des convictions fortes : voir l’émergence de signes religieux dans la Pub autour de 2000. Si Dieu apparaît de nouveau, c’est qu’on le prend plus au sérieux !

Mr Horst Schwebel s’est exprimé en allemand, et a été traduit, en résumé, par Jérôme.
  Qu’en est-il des conséquences esthétiques d’une théologie de la croix où le don ultime d’amour est caché sous son contraire, la mort d’un supplicié ?
  L’attention de l’art contemporain à l’humanité, à la faiblesse de l’homme, serait un prolongement de la théologie de la croix, de son abaissement. Le côté pessimiste, déprimant et tragique de l’art contemporain serait le reflet de la situation de l’homme devant Dieu.
L’art contemporain veut aller au-delà de l’apparence, d’un voir objectif, et revendique l’absence d’image. Je fais donc une relation entre l’interdit biblique de l’image et l’absence d’image de l’art contemporain.
  Quel lien faites-vous entre la théologie calviniste de Barth et la théologie de Luther ? Qu’en est-il de la prédication de la Bible en images ?
  En francophonie, les pensées luthériennes et calvinistes sont brouillées. Dans un contexte de minorité, la théologie protestante française dans son ensemble prend les points forts de chacun. Pour ce qui est de la prédication de la Bible, on assiste à une évolution fulgurante vers l’ouverture, pourvu que l’image se raccroche à la Parole. L’art devient alors une porte d’entrée ou un point d’arrivée pour nous rapprocher du texte biblique.
  Quel lien faites-vous entre l’image et la Parole, tout en respectant leur autonomie propre ?
  Le risque est de faire de l’image une illustration de la Parole. Il y a déjà de l’image dans la Parole (cf les Paraboles, ou l’Apocalypse) qui crée des images en nous (citation de « L’apocalypse » de Pierre Prigent ). En Allemagne, en contexte luthérien, il y a séparation de l’image et de la théologie à cause du risque de survalorisation de l’art au détriment de la théologie. Ce qui m’intéresse, c’est de faire le lien entre les deux.

Mr François Boespflug
Le dossier de Jérôme est très vaste, très ouvert, ce qui va à l’encontre de la tendance des chercheurs de restreindre leur domaine. Jérôme apparaît comme un passe-muraille entre les genres. Ce travail fait apparaître la passion d’un pasteur confessant pour la communication du mystère de Dieu entre les humains.
L’iconicité du texte biblique ne se réduit pas aux Paraboles et à l’Apocalypse, mais touche aussi le vocabulaire : ex « être dans le sein de Dieu = auprès de Dieu ». Dans l’histoire chronologique que fait Jérôme, il n’y a rien sur l’art médiéval !
Jérôme : Ce sujet a déjà été traité par Mr F Boespflug lui-même et par Jean Wirth, historien de l’art du Moyen Art à l’Univeristé de Genève..On ne peut pas se concentrer sur tout. Il fallait débroussailler les rapports de la Réforme avec l’image, la Réforme étant née de la protestatin contre une inflation d’images dans la pratique du christianisme du Moyen-Âge.

Mr Boespflug
L‘image du Moyen-Âge est une exégèse spécifique de la Bible digne d’étude et d’attention ! Mr Boespflug mentionne les faiblesses du travail de Jérôme :
  le lexique n’est pas assez rigoureux ( ex l’icône, est-ce l’image de l’art abstrait ou de l’art de l’icône ?). Or sans rigueur terminologique il n’y a pas de science.
  Dans les commentaires d’images, par exemple les photos de Olivier Christinat, quelle méthodologie utilisez-vous pour interpréter l’image ?
Réponse :
  Le premier commentaire est constitué par les titres de la photo et de la série : ici respectivement « L’interdit de la représentation » et « Photographies apocryphes ».
  Le second commentaire consiste à resituer la lecture subjective dans le contexte de l’artiste qui travaille sur le thème de la « présence / absence de Dieu »
  Le troisième commentaire vient d’un dialogue avec l’auteur qui est en débat avec la culture réformée d’absence d’images, et la réception de son œuvre par les médias.

Mr Boespflug :
Le 20ème siècle est riche d’œuvres où il y a un tel hiatus entre l’œuvre et son titre qu’on ne peut pas prendre le titre comme critère de lien entre l’œuvre et la théologie !
L’interdit de la représentation appartient à la tradition juive biblique et donc est bien antérieur à la Réforme. D’autre part ce n’est pas « apocryphe » d’interdire l’image. Le terme est devenu ambivalent au 20ème siècle.
Réponse : Seul Calvin a interdit l’image en elle-même, en en faisant un commandement à part entière. La Bible inclut l’interdit de l’image, objet d’adoration ou d’idolâtrie, à l’intérieur du 2ème commandement : "Tu n’auras pas d’autre dieu devant ma face" (Ex 20.3-6), la première Parole étant l’affirmation de l’identité du Dieu Libérateur : « Je suis l’Eternel ton Dieu qui t’ai fait sortir d’Egypte, de la maison de servitude ».
L’auteur de la photographie, O. Christinat, joue sur le décalage entre « apocryphe » et « canon » de la Bible ; on arrive au vrai par le faux ou à la présence par l’absence.

Mr Boespflug demande à Jérôme comment il est arrivé au commentaire du tableau d’art contemporain de Martina Klein, qui se trouve dans une église réformée près de Bâle, ou il affirme que la monochromie signifie l’interdit, l’œuvre posée et non accrochée signifie qu’on ne fixe pas l’image dans un sens donné, les trois couleurs bleu, rouge, vert, signifient les trois personnes de la Trinité, Père, Fils et St-Esprit, le rayon de lumière venant de la droite symbolise la grâce, et la pierre posée représente l’humain dans la création, sa lourdeur et sa dureté. D’où sort ce commentaire ?
Réponse : L’artiste a dit lui-même de son œuvre que c’est une « installation » :
Elle se trouve dans le chœur d’un temple réformé à Bâle, faite en accord avec la communauté, dans une mise en scène qui veut traduire ce qu’est la grâce., dans un contexte « d’aniconisme » réformé encore très fort.

Mr Boespflug
Jérôme fait de la théologie de la modernité en reconnaissant un prophétisme à l’art contemporain. Cette démarche paraît trop optimiste. D’où vient la conviction de Jérôme que l’Eglise doit être enseignée par l’art, et non pas enseigner ?
Réponse : Jérôme se réfère au retable moderne de Emil Nolde (1913), dénoncé par les Eglises et les Nazis, au crucifix de Germaine Richier (1950) au Plateau d’Assy refusé car sa modernité artistique a été confondue avec de l’iconoclasme. Avec le recul, dans les conflits entre les artistes d’avant-garde et l’Eglise, au 20e siècle, il apparaît que ce sont les artistes qui avaient raison. Certains artistes contemporains disent avec des couleurs ce que nous disons avec des mots !

Après une très courte délibération du Jury, Jérôme reçoit son Habilitation, qu’il aurait eue avec « mention du jury », s’il en existait une !

La délibération

Commentaire d’Evelyne et Jean-Daniel :
Les discussions très serrées entre les membres du jury et Jérôme ont fait apparaître le choc des cultures et des origines théologiques ! On ne lit pas une œuvre d’art contemporain de la même façon selon qu’on est Suisse, Allemand ou Français, protestant ou catholique !
Merci à Jérôme de nous avoir permis d’assister à cette joute oratoire, fort instructive pour préciser le sens de l’action de « Protestantisme et image » !