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Réflexion

Iconoclasme

II. De la révolution au symbole

Dans de nombreux lieux d’Europe, la Réforme fut précédée, accompagnée ou suivie par des actes iconoclastes : destruction partielle ou complète de statues, tableaux, objets liturgiques, mobilier d’église, orgues etc...

Qu’est-ce qui a motivé ces hommes et ces femmes à de tels actes ? Pourquoi et comment sont-ils devenus ces briseurs de statues qui non seulement provoquèrent en retour de vives réactions du parti adverse, mais qui embarrassèrent également les réformateurs ?

L’une de leur motivation était la stricte obéissance au second commandement du Décalogue : « tu ne te feras pas d’image taillée ». Ce commandement que beaucoup comprenaient comme une interdiction de la seule adoration des images, les iconoclastes en donnaient une interprétation beaucoup plus large : ce n’est pas simplement l’adoration qui est interdite, mais également la fabrication. Même ce qui n’était pas une image à proprement parler (objets, instruments de musique), tombait sous le coup de l’interdiction.

Mais cette motivation biblique n’était pas la seule, et sans doute pas la principale. Telle est l’une des conclusions des historiens travaillant actuellement sur l’iconoclasme. L’iconoclasme a été avant tout un mouvement de révolte populaire contre l’organisation sociale, politique, religieuse d’une société marquée par des structures féodales de domination des puissants - et en particulier de l’Eglise - sur des classes sociales exploitées (paysans, artisans) ou qui n’avaient pas accès au pouvoir (commerçants, bourgeoisie urbaine). L’acte iconoclaste revêt alors une dimension proprement révolutionnaire, même si cette révolution fut plus ou moins radicale, plus ou moins réussie selon les lieux et les circonstances. En brisant les images, le peuple s’affranchissait de servitudes multiples, et particulier d’obligation financières : collectes, entretien, offrandes pour le Saint matérialisé par sa représentation : des sommes énormes étaient exigées par l’Eglise au peuple, et cela d’autant plus que la production d’« idoles » (c’était ainsi que les iconoclastes appelaient les images), s’était considérablement accrue au cours du 15e siècle. On vivait alors - comme aujourd’hui - dans une inflation du visuel. L’image dominait l’humain ; elle était devenue, proprement, une idole.

Ce n’est pas tout. Cette révolution iconoclaste ne fut pas simplement sociale et politique. Elle fut également symbolique. Les briseurs d’images témoignaient de la nécessité d’un changement complet du système de représentation qui avait porté la foi chrétienne depuis des siècles. Le passage à l’acte était sans doute inévitable, pour prouver que l’idole n’était plus rien qu’une matière inanimée. L’expression de la foi devait se servir d’autres médiations que les objets sacrés ou la représentation figurée ou sculptée. Les seules médiations désormais autorisées, là où l’iconoclasme triompha, étaient celles du Livre (la Bible), de la Parole (la prédication), du symbole (le sacrement). En ce sens, un historien de l’iconoclasme protestant, a raison de considérer que « l’iconoclasme est aussi une profession de foi, un geste pieux ».

Comment ne pas faire un parallèle avec ce qui s’est passé dans les pays de l’ex-Union soviétique après la chute du mur de Berlin en novembre 1989 ? Le phénomène fut analogue. Là aussi ce que la population rejeta, en mettant à terre les statues de Lénine et de Staline, ce fut tout à la fois un système politique, une organisation économique et sociale, un système de représentation symbolique. Dans un cas comme dans l’autre l’iconoclasme rend visible la crise, en même temps qu’il en est l’un moments le plus dramatiques.

L’iconoclasme et l’argent :

La relation aux images mettait en jeu des questions d’argent. Normal, parce que la production et l’entretien d’une image coûtait cher, d’autant plus qu’elle suscitait une dévotion elle aussi coûteuse. Faire fabriquer des images était un placement qui rapportait aux commanditaires, et coûtait aux pauvres. Refuser le culte des idoles, était donc aussi une revendication sociale.

On trouve déjà chez les hussites, les disciples du réformateur tchèque Jan Huss, un lien entre iconoclasme et préoccupation sociale : mieux vaut donner de l’argent au pauvres que les consacrer à des objets de cultes luxueux et inutiles.

En juillet 1415, un siècle avant la Réforme, des paroissiens de Küsnacht, près de Zürich, se sont trouvés face aux juges, pour avoir empêché l’érection d’un crucifix moderne. Mais ils le firent essentiellement parce qu’ils craignaient que le nouveau crucifix ne prive leur patron, Saint Georges, d’une partie des offrandes, dont ils avaient besoin pour l’entretien de l’église paroissiale. Un compromis fut trouvé, en ce que le commandeur du crucifix dut s’engager à partager avec les paysans ce que le crucifix rapporterait comme argent.

A Zürich, les premiers actes iconoclastes de 1524 étaient légitimés par l’idée que les biens des fondations pieuses ne devaient pas être employées à la décoration des églises, mais au services « des vraies images de Dieu », c’est-à-dire des pauvres. Un an plus tard, la ville fit fondre 20 kg d’or et 152 kg d’argent provenant des objets de culte. Mais l’argent n’arriva guère aux pauvres ; il alla plutôt dans la caisse générale de la ville. Une grande partie de ces ressources servit à couvrir les frais occasionnés par la Réforme.

Il a dit :
«  Tous les fabricants d’idoles devront rendre des comptes à Dieu pour avoir laissé mourir de froid et de faim ses images (les hommes) et si chèrement décoré leurs propres idoles  »
Ulrich Zwingli, Réponse à Valentin Compar (1525).

Jérome Cottin
(article parru dans Réforme N° 2990)

Pour poursuivre...
 Olivier Christin, Une révolution symbolique. L’iconoclasme protestant et la reconstruction catholique, Paris, les éditions de Minuit, 1991. en savoir plus