– Le même texte, en anglais.
– Pour une présentation générale des 5 colloque : - en français ; - en anglais
– Conférence de J. Cottin à Cape Cod, USA (Community of Jesus) sur l’architecture religieuse contemporaine : - en français ; - en anglais
Préliminaires
Je voudrais commencer mon intervention par trois rappels ou préliminaires.
1. Lorsque,il y a presque deux ans, en décembre 2015, à Florence, nous avons préparé ce grand colloque en cinq étapes (Paris, Strasbourg, Florence, Yale, Orleans), nous avons choisi de prendre en charge la question de la relation entre les arts et la théologie. Nous avons souligné que cette question pouvait d’emblée poser une difficulté épistémologique dans la mesure où les arts font expressémentappel à la matière, à la sensibilité et à l’imagination,tandis que la théologie universitaire s’élabore avant tout dans une réflexion conceptuelle, discursive et argumentative. Les arts et la théologie universitaire appartiennent à des domaines bien différents, c’est ainsi qu’ils ont pu être opposés. Pourtant, ils ne sont pas si étrangers l’un à l’autre. Ils peuvent entretenir une relation d’affinité et s’interpeller intimement et mutuellement.Plus encore, les arts, dans leur dimension tout à la fois expérientielle, sensible, émotionnelle et cognitive, peuvent questionner la théologie dans sa propre recherche et dans sa propre démarche ; et, réciproquement, la théologie peut apporter un regard propre sur les arts. C‘est en ce sens que nous avons formulé la problématique générale du colloque de la manière suivante : La théologie au risque de la création artistique ?
2. La dimension œcuménique a été immédiatement au fondement de notre colloque. Celle-cioffrait d’emblée la perspective d’un véritable enrichissement dans l’approche du questionnement sur la relation entre art et théologie. De plus, elle manifestait l’importance des arts, de la voie de l’art, dans les relations et la réflexion œcuméniques. C’est aussi ce que le colloque veut affirmer.
3. Les différents lieux qui composent notre colloque international ne sont pas une juxtaposition de colloques sans rapport les uns avec les autres, mais ils correspondent aux étapes d’une recherche qui veut prendre en compte les particularités géographiques, historiques, culturelles, religieuses et ecclésiales propres à chacun de ces lieux dans lesquels ces colloques se déroulent.Autrement dit,il s’agit d’une recherche qui veut prendre en compte les conditions d’émergence et d’approche de la question. Ces conditions déterminent de l’intérieur la question, lui donnent inévitablement des configurations différentes et ouvrent à des possibilités diverses de réponses.La question du rapport entre art et théologie ne se pose pas de la même manière lorsqu’elle est abordée à Paris au sein d’une faculté de théologie catholique et dans un contexte fortement marqué par la sécularisation, ou lorsqu’elle est abordée à Strasbourg dans un contexte de commémoration de la Réformation, ou encore lorsqu’elle est abordée dans une ville riche d’une grande histoire iconographique chrétienne, comme à Florence. Bien évidemment, elle se pose encore de manière très différente dans le contexte artistique, culturel et religieux des Etats-Unis.La diversité des thématiques proposées et retenues pour chaque lieu est en cela très significative :
– Paris : Création artistique et théologie de l’Esprit Saint. De l’apparaître à l’envol,
– Strasbourg : L’apport de la Réforme à une théologie des arts ;
– Florence : La vocation théologique des artistes ;
– New Haven : Les arts sacrés dans l’Amérique du nord ;
– Orleans : Art, musique et vie contemplative aujourd’hui.
Chaque colloque s’est effectivement organisé et construit selon une ligne propre, une thématique propre, mettant en valeur certains aspects. Ces programmessont le fruit de décisions claires, maisils sont aussi fort probablement portéspar des impensésou tout au moins par des présupposés qu’il s’agirait d’expliciter. C’est en ce sens qu’il nous semblerait important de pouvoir faire uneévaluation de ce qui s’effectue à chaque étape, un retour sur ce qui a été et est mis en œuvre d’étape en étape. Les deux dernières étapes que nous allons vivre nous permettrontd’avoirune vue d’ensemble et une compréhension plus large et diversifiée de la question de la relation entre art et théologie.
Je voudrais maintenant tenter de retracer en quelques mots ce que nous avons mis en œuvre lors de l’étape parisienne qui inaugurait notre colloque international.
Permettez-moi, tout d’abord,de rappeler que la faculté de théologie de l’Institut Catholique de Paris (le Theologicum) a choisi d’inscrire dans son champ d’investigation la question des arts en créant,en 1995, un institut propre de second cycle : l’Institut Supérieur de Théologie des Arts (ISTA). La création de cet institut de théologie des artsconfirmait que ces deux domaines, certes distincts, ont quelque chose d’essentiel à voir ensemble, et qu’il importait à la théologie de prendre en considération cette dimension fondamentale de l’expression humaine, religieuse et chrétienne qu’est l’art. Dans un contexte fortement sécularisé, l’art que nous voulons considérer n’est pas seulement l’art religieux, liturgique et chrétien, mais tout art. En effet, la création moderne et contemporaine, dans sa diversité, peut ouvrir à des questionnements humains dans lesquels une authentique recherche spirituelle est à l’œuvre.
Pour notre colloque à Paris, nous avons choisi d’aborder la question de la relation entre l’art et la théologie à travers une problématique plus précise, celle de la relation entre la création artistique et la théologie de l’Esprit Saint, et cela en nous appuyant sur la figure de l’oiseau.Cette problématique est le fruit directd’un séminaire de recherche de l’ISTA, et c’est cette recherche que nous avons prolongée et approfondie pendant le colloque, selon une méthodologie que nous pratiquons.
En effet, en considérant l’oiseau dans les arts, nous avons pu constater que,loin d’être une simple image ou un simple objet, celui-ci rejoignait de manière intime et essentielle l’acte de création poétique et artistique.
Gaston Bachelard, dans son essai L’air et les songes fait remarquer que ce qui est beau, chez l’oiseau, c’est le vol. Il souligne que l’image de l’oiseau en plein vol est une image originaire, première, parce qu’elle exprime une force symbolique fondamentale : la légèreté, la vivacité, la jeunesse, la pureté, la douceur, la liberté. L’oiseau est fait de l’air qui le porte et du mouvement qui l’emporte. Le« monde de l’oiseau », autrement dit ce qu’il évoque existentiellement, est avant tout le monde de l’appel et du désir de l’envol, du chant qui se fait entendre, de la conversion et de la transformation vers la lumière, d’une intime communion, d’un espace nouveau à atteindre. Mais ce monde de l’oiseau n’en renvoie pas moins à l’épaisseur de la matière et du corps, à la finitude et aux limites de celui qui rêve de l’oiseau, qui l’entend, le regarde et le reconnaît. C’est pour indiquer cela que nous avons rajouté au titre de notre colloque « Création artistique et théologie de l’Esprit Saint », le sous-titre : « De l’apparaître à l’envol ». Ce « monde de l’oiseau »,dans son intériorité et sa dynamique créatrice, dans sa dimension inaugurale et sa dimension d’accomplissement, dans toutes ses résonances les plus profondes, a rejoint nombre d’artistes au sein même de leur expérience créatrice, à tel point qu’il a pu en devenir une figure essentielle. Ainsi, nous avons vu l’importance de l’oiseau dans la peinture de Georges Braque, et, de manière différente, dans la sculpture de Brancusi. De même, nous avons vu l’importance du vol et du chant de l’oiseau dans la musique comme ressource créatrice. De même encore, nous avons vu comment l’oiseau, dans la poésie, ne cesse d’interpeler le poète et de l’inviter à écrire, plus encore lorsqu’il s’interroge ou doute de son acte d’écriture.
Cette approche du « monde de l’oiseau » dans les arts et la création artistique a rendu plus évidente et plus manifeste la figure de l’oiseau-colombe en tant que figure métaphorique de l’Esprit-Saint. Dans les textes bibliques relatant le baptême du Christ, il ne s’agit pas tant d’une colombe que d’un « comme une colombe ».
L’exégète Jean Radermakers souligne que ces textes indiquent non pas tant l’apparence d’un oiseau que la manière dont l’Esprit Saint agit en Jésus.Le « monde de l’oiseau » nous a ainsi renvoyé à la question d’une pneumatologie, d’une théologie de l’Esprit Saint, à la question de l’agir de l’Esprit Saint créateur et sanctificateur, dans l’univers, en Jésus-Christ et en l’homme.
Les différentes contributions que nous avons eues concernant une théologie de l’Esprit Saint ont confirmé ce rapprochement. Dans la pensée d’Irénée de Lyon, dans les pratiques liturgiques et sacramentelles et les premières productions artistiques de l’Eglise ancienne, dans la richesse et la diversité de l’iconographie florentine, dans la réflexion théologique contemporaine, l’Esprit Saint paraît comme celui qui crée et féconde, qui fait renaître, vivre et croître, qui suscite le désir et fait gémir,qui transforme et unit, qui transporte et illumine, qui élève et relève, qui ouvre à l’universalité et à la communion. De plus, une pneumatologie proprement chrétienne ne peut séparer l’Esprit Saint et le corps de l’homme : l’Esprit Saint couvre de son ombre le corps de Marie, il est l’Esprit de Jésus-Christ, il naît de son corps crucifié et de sa blessure ouverte, il constitue le corps ecclésial de Jésus-Christ, il élève l’humanité à sa vie spirituelle, il est Esprit de résurrection.
Ce rapprochement entre le « monde de l’oiseau » dans les arts et une théologie de l’Esprit Saint a montré avec évidence comment les arts pouvaient être en mis en relation dynamique avec la théologie.C’est en ce sens que nous avons organisé des ateliers autour de deux questions : en quoi l’art questionne, motive et nourrit la théologie ? Quelles relations entre l’artistique et le théologique ?
Il me faut encore souligner que nous avions choisi de commencer notre colloque par deux contributions fondamentales et complémentaires. Celles-ci qui ont explicité, chacune à leur manière,un rapport d’analogie (une ressemblance dans la différence) entre d’une part l’expérience artistique et créatrice et, d’autre part, l’expérience de foi.
Dans un discours plus analytique et à travers la notion merleau-pontienne de style,la première contribution a montré que l’expérience artistique des œuvres d’art,entant qu’elle implique une ouverture nécessaire à la diversité des œuvres et à la diversité de leur monde, en tant qu’elle implique l’acceptation d’une certaine transformation de soi et d’une certaine conversion de soi, et,enfin,en tant qu’elle est une invitation à habiter nouvellement le monde, l’expérience artistique présente alors une analogie avec l’expérience chrétienne de rencontre avec Jésus-Christ qui implique aussi nécessairement transformation de soi et nouvelle manière d’habiter le monde. D’autre part, cette contribution a montré que la pluralité des styles dans les arts nous invite de même à reconnaître et à accepter la pluralité des styles dans la vie chrétienne. Enfin, elle a montré que si le rôle du critique d’art est d’aider ses auditeurs ou lecteurs à entrer dans le monde des œuvres, le rôle du théologien est aussi, à sa manière, celui d’être un passeur dans le monde de la révélation.
Dans un discours plus poétique et narratif, la deuxième contribution a évoqué et a développé, à partir de paroles bibliques, - dont la première citée : « Qui me donnera les ailes de la colombe ? » (Ps 54, 7) -,l’affinité profonde entre la condition de l’artiste dans son acte de création et la condition du croyant dans sa vie chrétienne.
Conclusion
Pour conclure cette brève présentation, je voudrais revenir de manière réflexive au geste théologique que nous avons effectué lors de notre colloque parisien. Notre démarche a consisté à prendre en compte pour elle-même l’expérience créative, artistique et esthétique autour de la figure de l’oiseau et à laisser cette expérience nous dévoiler sa richesse et sa profondeur propres. Nous avons tenté de porter cette expérience au langage, à une première forme de discours, conscient toutefois que ce langage ne pouvait en aucun cas épuiser la richesse esthétique, émotive et sémantique de l’expérience créative et artistique. Cette mise en langage de l’expérience créative et artistique de la figure de l’oiseau a ouvert des champs de signification et de compréhension qui venaient en résonance intime avec la question théologique et pneumatologique. Autrement dit, l’explicitation de la figure de l’oiseau dans le domaine propre des arts a eu une valeur heuristique dans la recherche d’une théologie de l’Esprit Saint et elle invitait cette recherche théologique à réinvestir ses propres ressources. Cette articulation entre l’artistique et le théologique repose fondamentalement sur la différence mais aussi l’unité au sein de la connaissance entre le symbolique et le conceptuel, différence et unité qui ne peuvent que demeurer dans une tension vive.
Denis Hétier
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1. Les deux œuvres d’art qui constituent l’affiche du colloque de Strasbourg représentent déjà en elles-mêmes un résumé de la problématique (prévoir de montrer les deux œuvres) :
– Un tableau de Cranach du 16e siècle et une œuvre contemporaine du 21e siècle : un tableau narratif et biblique, et une œuvre qui relève plus du « signe », du symbole, et qui met en figure le vide et l’absence comme trace d’une présence autre. La première est représentative d’une esthétique luthérienne, la seconde d’une esthétique calviniste (ou reformée).
2. Les points suivants ont été soulignés, dans un parcours qui précède la Réforme dans l’ère germanique, en particulier le long du Rhin :
– La Réforme signifie un retour aux textes bibliques, Ancien Testament compris. L’Ancien Testament (AT), valorise le « voir Dieu » : dans l’AT, comme dans la Bible toute entière, le visible est valorisé comme faisant partie de la dimension humaine, revendiquée par Dieu également pour se révéler. Le « voir » dans la Bible ne se traduit toutefois pas par une esthétique, mais par un comportement éthique.
– La mystique rhénane (maitre Eckhart, Jean Tauler, Henri Suso, Hildegarde de Bingen) a joué un rôle important dans l’introduction des idées de la Réforme et du piétisme, lequel a beaucoup influencé l’art du romantisme allemand (K.D. Friedrich). D’une part, à cause de sa valorisation des sentiments (l’image se substitue du concept). D’autre part en favorisant une sorte « d’union mystique » entre Dieu et le croyant. Enfin, en étant attentif aux images intérieures du croyant. Il s’agit de « traverser les images pour aller au-delà des images ». Jean Tauler dit, à propos du mystique, : « Il ne vit rien, il vit Dieu ».
– La ville de Strasbourg fut l’une des villes les plus importantes de la Réforme. Elle se situait aux confluences des influences allemande (Luther), suisse (les réformateurs de Bâle, Berne et Zurich) et française (Calvin a résidé 3 ans à Strasbourg). Le réformateur de Strasbourg fut Martin Bucer, ancien dominicain et humaniste, aux idées particulièrement ouvertes.
3. La Réforme et les arts. Trois perspectives ont été soulignées :
a) Strasbourg fut une ville très importante en ce qui concerne le développement de l’imprimerie. De nombreux imprimeurs ont multiplié non seulement les textes (Bibles, traités théologiques), mais aussi des images, en particulier en ce qui concerne les pamphlets anti-romains, parfois très virulents. L’image gravée et imprimée sur bois a joué un rôle important, et elle était l’œuvre d’artistes importants (Baldung Grien, Vogtherr).
b) Le luthéranisme n’a pas condamné les arts visuels mais les a utilisés au service de la pédagogie et de la catéchèse. Il n’en est pas allé de même pour la réforme suisse et française (Calvin), beaucoup plus stricte sur la question des images. Mais Calvin, « théologien mystique », a été le premier à développer une esthétique théologique : pour lui, on peut contempler des traces de la présence de Dieu dans les œuvres de la création ; d’autre part l’invisibilité de Dieu est quand même visible pour celui qui possède « les yeux de la foi ». De fait, le calvinisme a donné lieu, paradoxalement, à une tradition artistique très riche (Rembrandt, Van Gogh, Mondrian, Le Corbusier).
c) Enfin – mais cela est plus connu – le protestantisme a donné lieu à une riche tradition musicale aussi bien dans le luthéranisme (les chorales et cantates) que dans le calvinisme (les Psaumes de Genève).
4. Après la Réforme. Là encore, trois pistes ont été explorées.
a) L’art baroque, très marqué par le Concile de Trente, qui était en quelque sorte une réponse aux protestants. Cet art a mis en avant ce que la Réforme a refusé. Toutefois, l’esthétique baroque ne se réduit pas à cela. Elle possède un langage propre, qui valorise le corps et la sensualité, la mise en scène, la théâtralité.
b) Dans l’ère anglophone (UK et Amérique du Nord), l’esthétique calviniste n’est traduite, à la suite des puritains, par une valorisation de l’espace vide (mais ce vide n’est qu’apparent), de la nature, de la littérature et de la poésie.
c) Enfin, il ne faut pas oublier la spécificité d’une esthétique anglicane, typique d’une via media entre protestantisme et catholicisme, oscillant tantôt vers le premier, tantôt vers le second. En Angleterre, la personnalité artistique atypique de William Blake au 19e siècle, a joué un rôle important, dans l’élaboration d’une esthétique moderne et spirituelle, émancipée du dogme et de l’Eglise, et dont on peut trouver des traces dans l’art video de Bill Viola.
Jérôme Cottin,