Acceuil
Réflexion

C. Szmaragd : "L’Eglise comme lieu d’exposition de l’art contemporain

L’art contemporain dans l’église

Pleix, nuit blanche 2007
Body astral Church,
facade égl. St Eustache

Présentation du sujet : La problématique du lieu cultuel dans l’évolution des pratiques culturelles

Les églises sont fondamentalement des lieux qui appartiennent au domaine culturel. Elles ont été les espaces d’expression et de représentation des œuvres et des artistes au cours de toute l’histoire de la culture occidentale. Ces réalisations ont fait l’objet de nombreux travaux d’analyse en histoire de l’art, que ce soit du point de vue architectural, artistique ou anthropologique. Concernant la période contemporaine, l’étude des relations entre l’art et l’Eglise s’est largement portée sur l’art dit « sacré », à savoir les réalisations d’œuvres religieuses (peintures, sculptures ou fresques, mobiliers liturgiques ou vitraux) par des artistes contemporains. Pourtant en observant l’évolution des pratiques culturelles, on distingue un autre champ de réflexion propre aux problématiques de la muséologie : l’église comme un espace, un lieu d’exposition pour l’œuvre. Il s’agit d’étudier des œuvres exposées de manière temporaire, dont l’intention n’est pas directement de satisfaire une commande religieuse pérenne, mais poursuivant une démarche autonome dans ces lieux. Pourtant l’église n’est pas espace neutre, comme un musée ou une galerie, où l’œuvre peut y dicter ses règles. C’est le lieu d’une pratique religieuse, concentrant des croyances et des rites, un lieu physique, symbolique, régis par un ensemble de règles. Comment alors le considérer ? Et si la « culture religieuse est indissociablement liée à l’art [1] », quand l’art contemporain s’invite dans l’église, qu’en est-il de l’esprit du lieu et de l’œuvre ?

Par ailleurs, la muséologie contemporaine ou science de l’exposition nous a appris à reconsidérer les conditions physiques de présentation des œuvres, comme ouverture théorique du champ d’action de l’art en interaction avec son environnement. Une œuvre ne peut être isolée du contexte dans laquelle elle est exposée et perçue. Dans cette perspective, il arrive souvent que les œuvres soient, au moins en partie, motivées par le lieu où elles aboutissent, où elles sont montrées, mises en culture, installées, chorégraphiées, projetées.... Ainsi, voir une œuvre dans une église n’est pas la même chose que de la voir dans un musée ou une galerie. De même, le choix d’exposer une œuvre dans une église témoigne d’une volonté particulière des producteurs de l’exposition, que ce soit l’artiste, la paroisse ou une institution publique. Une relation, un dialogue, s’établie entre le lieu consacré et l’œuvre contemporaine, et celle-ci doit être prise en compte.

En quoi l’église peut-elle se prévaloir d’être un lieu d’exposition pour l’art contemporain ? En quoi l’exposition de l’art contemporain dans une église constitue-t-elle un phénomène culturel donnant de nouvelles règles à l’exposition, au cadre perceptif de l’œuvre et aux finalités ecclésiales ?

La confrontation de différents champs culturels et artistiques : La nécessité de se baser sur une réalité tangible et sur un corpus de terrain.

Cette réflexion met en jeux deux domaines complexes : d’une part l’église en tant qu’espace religieux, historique, culturel et social, et l’art contemporain et ses multiples formulations. Il s’agit alors d’analyser la confrontation de ces deux univers et de comprendre par quels mécanismes ils sont amenés à se rencontrer puis à s’interpénétrer, tout en rendant compte de leurs diversités. Davantage, l’exposition d’une œuvre d’art contemporain dans une église est le fruit d’une relation individuelle et spécifique entre une paroisse et un artiste. L’axe principal de la recherche est ainsi la mise en dialogue de ces différentes sphères, acteurs et interprètes, afin d’aboutir à une définition ouverte d’un phénomène culturel récent et en probable expansion.
Les initiatives culturelles dans les églises à Paris ne peuvent pas être considérées comme un mouvement général, dicté par telles ou telles instances publiques ou diocésaines. Les différentes expériences vécues dans les paroisses parisiennes dépendent beaucoup de la personnalité de leurs responsables et restent circonscrites à certains lieux, choisis pour leur dynamisme et leur rayonnement : l’église Saint-Eustache, l’église Saint-Merry, l’église Saint-Sulpice, ... ; les événements dans le cadre du Festival d’Automne et de la Nuit Blanche ; ou les initiatives culturelles menées par des instances religieuses (Association Art, culture et foi, la Galerie Saint-Severin, les Bernardins, le Seuil à la Chapelle Notre-Dame de la Sagesse ) à l’intérieur ou l’extérieur d’espace cultuel.
Au nombre de ces paroisses répondent quelques initiatives culturelles, dont l’intérêt ne repose pas sur le nombre mais sur la diversité des différentes entreprises, des messages véhiculés et des personnalités rattachés à ces histoires. De l’exposition de paroissiens amateurs à la mise en espace plus aboutie d’artistes internationaux, tous types de manifestations sont permises.

Quelques exemples : Perspectives actuelles : les expositions dans les églises à Paris

Des initiatives ecclésiales : des lieux et des hommes :
L’Eglise comme acteur de la création contemporaine.

 Saint-Eustache :

Les expositions d’art contemporain à Saint-Eustache ont commencé avec le Père Gérard Bénéteau dès le début des années 1990, et sont, selon moi, le point de départ à une démarche novatrice et résolument contemporaine de l’implication de l’Eglise dans le champ artistique. Figure incontournable de la vie religieuse parisienne, il arrive à Saint-Eustache en 1986 comme vicaire. Ses premières réalisations d’introduction de l’art contemporain à Saint-Eustache furent la mise en place de crèches d’artistes, dont la première, « en 1988, a été demandée à Agnès B., qui tenait sa galerie dans la rue du Point du jour. En tant que galeriste, elle avait sollicité différents artistes pour faire chacun un personnage de la Nativité. Cela donnait un résultat assez hétéroclite [2] » Mais sa véritable rencontre avec l’art contemporain s’est faite autour de la lutte contre le Sida, pour laquelle la paroisse s’est fortement impliquée, avec l’ouverture de la galerie du Forum Saint-Eustache [3] : expositions en faveur de la recherche contre le sida, 1992-1995. Suivront de nombreuses expositions, grâce à l’engagement d’acteurs de la culture comme Suzanne Pagé, Laurence Bossé ou Ghilaine Germain au Musée d’Art Moderne, Jérôme Sans ou Alfred Pacquement. Par leur intermédiaire, la galerie Saint-Eustache exposa de grands artistes français de l’époque, Annette messager, Bertrand Lavier, Jean-Luc Vilmouth...

En ce qui concerne les expositions à même l’église, en dehors des crèches, elles ont débuté à partir de 1993, lorsque le Père Bénéteau devint le curé de la paroisse. La première manifestation fut celle de Christian Boltanski, La Semaine Sainte, à Pâques 1994. Cette installation se déroula sur plusieurs jours du Jeudi Saint au dimanche de Pâque. Cette œuvre marqua éminemment la paroisse, mais aussi les historiens d’art. L’artiste avait élaboré son intervention comme une installation participative. Selon Gérard Bénéteau, l’art devait venir pour souligner les engagements de la paroisse, et renouer avec une tradition didactique, à savoir signifier par un autre langage aux paroissiens les enseignements du Nouveau Testament. Pâques est l‘événement fondateur de la religion chrétienne, et la pratique totale de Christian Boltanski devait révéler cette unité. A partir des trois grands thèmes des jours saints (Jeudi Saint : don et partage ; Vendredi Saint : mort, absence, dépouillement ; Pâque : la vie), Christian Boltanski adapte sa pratique d’alors, dans les Monuments et les Réserves, et invite les paroissiens de Saint-Eustache à s’associer à une œuvre qui a pour matière les vêtements. « Le Jeudi Saint, qui rappelle le dernier repas partagé, une grande table avait été dressée dans la nef et les gens étaient invités à laisser un manteau en quittant l’église.

Boltanski, avril 1994
La semaine sainte,
St-Eustache

Le Vendredi, les manteaux ont été installés dans la nef comme des dépouilles. Et il y avait ces trois manteaux dans le chœur, qui représentaient le Christ et les deux larrons. Le jour de Pâques, les manteaux ont été empilés de chaque côté de la porte, où l’on sert la soupe populaire en hiver et que l’on rouvre le jour de pâques. Chacun était invité à prendre un manteau et à le mettre dans une voiture qui partait en Bosnie, où la guerre faisait rage [4] ».

On peut noter également la présentation de la vidéo The Greeting de Bill Viola, de décembre 2000 à janvier 2001, dans le cadre du Festival d’Automne. Cette vidéo est une expérience sur la temporalité et le rapport à la représentation. L’artiste y reprend en images animées extrêmement lentes la scène du tableau de la Visitation du Pontormo. Viola a cherché à rester au plus proche de l’œuvre originale et fait ressembler le film à une peinture animée, dans lequel la question du temps et du mouvement est fondamentale. Il émane alors une temporalité étrange et transcendante entre le passé, le présent et le futur. La décélération va de pair avec l’accélération. Aussi les salutations extrêmement ralenties que fait celle, qui pourrait se prénommer Marie, à l’autre personne, qui aurait pu répondre au nom d’Elisabeth, décomposent les expressions fugitives et les gestes ordinaires. La lenteur se répercute sur la lourdeur des drapés flottant au vent. Il s’agit du « temps qui se fait, du temps dans son mouvement même que Viola nomme mouvement de la conscience : prendre conscience du temps, c’est entrer dans le monde des images mouvantes qui incarnent le mouvement de la conscience humaine [5] ». Cette mise en exergue de la conscience du temps, et de la temporalité de l’œuvre d’art conduit pour Viola à mener une expérience métaphysique. Les effets visuels permettent d’explorer les relations entre perception et conscience, témoignant du pouvoir transformateur de l’art. Il s’agit d’atteindre par l’image en mouvement un autre rapport au temps ; pour Bill Viola, celui d’un temps spirituel, en référence aux philosophies traditionnelles.

En 2005, Gérard Bénéteau fut remplacé par le Père Yves Trocheris. Sous sa direction furent organisées des expositions plus régulièrement [6].
Aussi, la paroisse Saint-Eustache participe-t-elle aux manifestations organisées dans le cadre de la Nuit Blanche depuis sa création en 2002.

 Saint-Merry :

Dans le même quartier de Paris, coexiste un autre pôle artistique majeur, le Centre Pastoral Halles-Beaubourg à l’Eglise St Merry. Si sa vocation culturelle fut donnée par l’Archevêché en 1979, suivant l’ouverture du Centre Pompidou, elle profite de sa vitrine sur le musée d’art contemporain pour mener depuis trente ans des manifestations artistiques conséquentes, en organisant de nombreuses expositions, des concerts et des représentations théâtrales. Son curé depuis 2004, Jacques Mérienne, est à ce titre moins connu comme prêtre du diocèse de Paris que comme artiste, et homme de théâtre et de cinéma. Metteur en scène, on lui doit des spectacles bibliques, autour de la figure de Job ou encore l’oratorio Isaïe, crieur du cœur de Dieu, et également des adaptations de Witold Gombrowicz ou des stages pour comédiens.

Puce-Muse, nuit blanche 2007
Saint-Merry 360,
egl. St Merry

En septembre 2007, s’est ouvert un grand festival d’art, A l’ombre du ciel, mêlant danse, musique, théâtre et arts-plastiques. Il débutait avec la Nuit Blanche, le 6 octobre, avec la performance sonore et visuelle du groupe électro-acoustique Puce Muse, Saint Merry 360. Ce groupe de plasticiens-scientifiques, dont les performances sont le fruit de résultat de recherches au CNRS, faisait la démonstration de ce qu’il nomme un « concert immersif » avec l’utilisation du méta-instrument [7], qui donnait une interprétation changeante du lieu au travers de la lumière, de la couleur et du son. Les spectateurs se tenaient dans la nef de l’église, qui était envahie par des lumières colorées variant au gré du son produit par les gestes des performers se tenant dans le chœur. L’évolution constante des projections infiltrant l’ensemble de la nef suivait les mouvements musicaux, et évoquait, en accéléré, les ombres colorées que laissent les vitraux au fil de la journée. Le temps d’une soirée, la ville est vue à l’envers ; de la nuit on évoque par la lumière les sensations d’un jour transfiguré.

H. Bonamin, nov. 2007
Portraits de guerre,
St Merry

Du 23 novembre au 7 janvier, Hugo Bonamin, jeune artiste franco-argentin, qui s’était déjà illustré dans l’église, lors de la Nuit Blanche 2005, exposait Les Portraits de Guerre, grands formats à l’huile réalisés dans un atelier sous les combles de l’église, où il était invité en résidence depuis l’été 2007. L’artiste, qui entretient une relation forte à ce lieux, a rencontré la paroisse Saint-Merry lors de la Nuit Blanche 2005, à l’occasion de laquelle il avait crée deux installations : une à l’intérieur, Les Chaises, l’autre à l’extérieur, La Lutte.

H. Bonamin, avr. 2008
La coupole des concertistes, St Merry

Par ailleurs, Bonamin a construit pour la paroisse, ce qu’il nomme : La Coupole des concertistes [8] , un abat-son destiné à améliorer l’acoustique des concerts. Structure sphérique en bois brut, elle est habitée de l’intérieur par un portrait peint monumental, et dont l’inauguration s’est déroulée début avril 2008. Construite in situ, cette œuvre a un statut tout particulier, intermédiaire entre la présentation événementielle d’œuvres et l’installation permanente. Permanente mais non fixe, l’œuvre conserve la souplesse du système de l’exposition, car elle occupe l’espace selon deux positions différentes, comme une insertion mobile : lorsque le spectateur entrait dans l’église, il était immédiatement projeté dans l’univers des artistes. Si elle ne nuit pas à l’architecture ancienne, elle ne sert pas directement la vie religieuse du lieu, mais enrichit son activité culturelle. Elle se situe dans un équilibre entre conservation et usages actuels.

 Saint-Sulpice :

A des manifestations d’ampleur comme celle de Saint Merry ou Saint Eustache répondent des expositions plus ponctuelles dans différentes paroisses. D’autres paroisses exposent des œuvres contemporaines dont le propos, s’il est toujours en lien avec l’édifice, peut parfois entrer en conflit avec l’esprit et la pensée religieuse du lieu. A Saint-Sulpice, par exemple, à l’automne 2001, Faust Cardinali exposait Baptême (une affaire liquide) dans la chapelle des Fonts baptismaux. Il s’agissait d’une structure métallique, à l’intérieur de laquelle, un réservoir, rempli de résine blanche, se déversait une fois par jour sur un agrandissement de certificat de baptême disposé sur une table en dessous. L’installation fut très controversée.

F. Cardinali, sept. 201
Baptême,(une affaire de liquide)
St-Sulpice

Faust Cardinali disait vouloir immortaliser l’entrée symbolique dans la communauté chrétienne, en traitant la gravité comme un défi lancé aux lois de la pesanteur. Faust parle alors de la gravité physique, comme la métaphore de la gravité humaine, à laquelle tout mortel est soumis. Cette pesanteur amène alors l’individu à intégrer la communauté religieuse. Mais ce passage symbolique est conduit par un mouvement descendant, entraîné par une lourde substance. L’entrée dans la religion et le désir de spirituel, qui d’ordinaire est symbolisé par la légèreté de l’esprit se débarrassant des contingences du corps, se confronte ici à une matérialité toute terrestre, « une gravité morale tendue vers un Dieu triste et fermé à toute ambition aérienne [9] ».

L’œuvre sulfureuse de Faust Cardinali développe une symbolique ambiguë du sacrement de baptême dans l’Eglise. Il est à la fois magnifié par la sur-proportion et la complexité du dispositif, mais aussi n’est pas conforme à une symbolique esthétique et spiritualiste, ressemblant davantage à un rituel païen, « spermatique » et mystique. De la même façon, l’œuvre subit une période de gestation jusqu’à son accomplissement, qui apparaît alors comme une révélation. Ce baptême symbolise entre autres la rencontre originelle de l’humain et du divin, selon les modalités de l’art contemporain.

Saint-Sulpice a aussi été le lieu d’accueil d’un projet ambitieux, celui de la Pyramide de lumière (Lichtpyramide) de l’artiste allemande, Gabriela Nasfeter. Œuvre itinérante, la sculpture éphémère a voyagé près de deux ans, entre 2000-2001, en passant d’églises réformée, catholique, orthodoxe et anglicane. A l’initiative du département d’art de l’Eglise protestante de Berlin, cette œuvre fut exposée à la période de Pâques à l’église Saint-Sulpice, sur le chemin d’une manifestation itinérante reliant douze églises chrétiennes sur les cinq continents [10]. A l’origine du projet, l’œuvre devait voyager dans cinq cathédrales, les cinq points cardinaux du volume renvoyant à ces lieux. Le parcours ayant été amené à s’élargir, les cinq coins évoquaient alors les cinq continents. La Pyramide était une structure légère recouverte d’un fin tissu blanc reflétant la lumière. Tenue par des filins métalliques, elle était présentée en suspension dans l’espace des églises. Elle s’ajustait à chacun des lieux de monstration, s’agrandissant, se rétrécissant, se dédoublant, exprimant la nécessité d’une adaptation et d’un échange entre les religions mais aussi entre les peuples.

Des initiatives publiques : l’église dans la politique culturelle

Si les paroisses peuvent être elles-mêmes les moteurs de manifestations culturelles, elles sont également des lieux privilégiés dans le paysage urbain de la ville, monuments historiques aux architectures monumentales, sous le contrôle et la gestion des instances de conservation de la ville et de l’Etat. Ces lieux sont alors des espaces d’accueil intéressants pour des événements artistiques publiques cherchant des cadres prestigieux et rayonnants pour des œuvres d’art importantes.

 Le Festival d’Automne/ La chapelle Saint-Louis de la Salpêtrière :

A. Ponomarev, fest. automne 2007
Verticale parallèle, St Louis Salpêtrière

Créé à l’initiative de Michel Guy en 1972 avec l’appui du président Georges Pompidou, le Festival d’Automne, naît à Paris en 1972, et devient très rapidement un véritable outil de production et de diffusion artistique pluridisciplinaire. Dans un esprit cosmopolite, il cherche aussi bien à faire vivre la ville et ses quartiers et de porter à la connaissance d’un public plus large l’art moderne national et international. Le Festival d’Automne, bien que ce soit une association indépendante, est subventionné par le Ministère de la Culture, la Ville de Paris et le Ministère des Affaires étrangères.
Les expositions font partie d’une programmation variée de représentations théâtrales, musicales et de danse. Chaque année, le Festival d’Automne investit des chapelles et des églises parisiennes pour en faire des lieux d’exposition d’œuvres contemporaines. A l’origine, sans lieux fixes, parmi les édifices religieux, la chapelle désaffectée de la Sorbonne fut la première à accueillir une exposition en 1975, Le Grand Prisme de Nicolas Schöffer. Puis en tant qu’église consacrée, la chapelle Saint-Louis de la Salpêtrière, située au cœur de l’hôpital du même nom, devint un lieu phare du Festival, où, depuis les années 1980, un artiste est invité à créer une œuvre originale pour le lieu, commande officielle de la Délégation aux Arts Plastiques [11], et à réaliser dans cet esprit l’affiche du Festival [12]

A la Salpêtrière, le Festival d’Automne est devenu un rendez-vous incontournable. Ses expositions sont très médiatisées et redonnent chaque année à la chapelle une actualité, avec des articles qui paraissent dans la presse générale (on trouve chaque année des articles sur ces expositions dans Libération ou Le Monde), mais également dans la presse spécialisée (Beaux Arts Magazine, Art Press...). Autre avantage de cette manifestation, l’accord passé avec le Festival assure à l’église une indemnisation financière et permet d’apporter des fonds pour l’entretien et le fonctionnement du lieu.

 La Nuit Blanche :

La Nuit Blanche imaginée en 2002 par Jean Blaise, le créateur du festival Les Allumés, sous la direction de la Mairie de Paris et de la Direction des Affaires Culturelles de la Ville, est un temps d’exposition éphémère à l’échelle de la ville. Les églises, éminemment présentes dans le paysage urbain, prennent au fil des éditions de plus en plus part à la programmation.
La première Nuit Blanche en 2002 comportait 27 projets dans la programmation officielle, dont une seule manifestation d’art contemporain se déroulait dans une église, Nuit court à l’église Saint-Eustache - programme de courts-métrage organisés par le Forum des images hors-les-murs, projection sur la façade.
La deuxième édition, dont la programmation artistique était assurée par six commissaires construisant chacun un parcours dans un quartier de la ville, occupait la façade de l’église Saint Merry avec l’installation vidéo interactive de William Forsythe, City of abstract, mais aussi Notre-Dame de Bonne Nouvelle où Cédric Pigot, Ana Englensson, Pierre Bongiovanni proposaient Self/Less/Self (Soi sans soi), une performance accompagnée d’une projection vidéo.

Sans retracer tout l’historique des Nuits Blanches, chaque année le nombre des églises investies a augmenté, jusqu’à inspirer au Diocèse un véritable partenariat artistique. La Nuit Blanche 2007, 16 manifestations, qui ont eu lieu dans 13 églises, ont été proposées d’un commun accord entre la Direction des Affaires Culturelles de la Ville, le curé de chaque paroisse et l’association diocésaine Art, Culture et Foi présidée, depuis 2001, par Isabelle Renaud-Chamska. Parmi quelques unes des réalisations, Saint-Eustache présentait dans son chœur l’installation de Lydia Dambassina, trois tapis où étaient abandonnées de nombreuses chaussures, métonymie de tous les exodes et de toutes les hospitalités, demeure où reprendre des forces avant de continuer la route. A l’extérieur, Pleix, avec ses projections photographiques dans les trois baies de la façade sud de l’église, invitait à mettre en parallèle et en opposition le culte du corps et le culte de l’esprit.

R. Stadler, nuit blanche 2007
Point d’interrogation,
St Paul St Louis

A Saint-Paul-Saint-Louis, où l’interrogation métaphysique de Robert Stadler prenait forme mystérieusement dans le volume de la coupole à l’adresse de chacun des visiteurs.

Dans un courrier envoyé aux membres de l’association, Isabelle Renaud Chamska dresse un bilan très positif de la manifestation : « Les églises se sont trouvé être des lieux privilégiés dans lesquels entrer pour faire une expérience artistique forte et intime [...] La mention de notre Association et de ses manifestations était insérée dans les journaux présentant le programme de La Nuit Blanche. Une bonne couverture médiatique nous a assuré une audience inhabituelle auprès de journalistes culturels tournés vers l’art contemporain surpris - et souvent heureux - de découvrir la capacité d’accueil manifestée par nos communautés [13] ». Cette manifestation montre clairement la volonté des églises parisiennes de prendre part à des initiatives culturelles, qu’elles ne pourraient pas poursuivre indépendamment.

Lorsque les pouvoirs publics sollicitent les pouvoirs ecclésiaux dans le cadre manifestations artistiques, on voit s’engager un dialogue intéressant entre les deux instances. Si l’église est comprise pour ses qualités urbanistique et identitaire, l’exposition publique est l’occasion pour l’église d’avoir les fonds et le rayonnement nécessaire pour faire valoir à nouveau son rôle en tant qu’acteur culturel. Ce système d’échange est également profitable à l’œuvre d’art qui se nourrit de ce double discours.

Conclusion/ Ouverture

Se poser la question des expositions d’art contemporain dans les églises fait directement appel à un certain nombre de notions, allant de l’histoire au langage, du processus de création au cadre de réception, en passant par la réalité concrète et l’interprétation des œuvres dans l’architecture sacrée. En prenant Paris, ses églises et ses artistes comme cas particuliers, nous les dépassons pour nous engager dans une problématique vaste et complète. Si l’histoire des avant-gardes nous apprend le divorce idéologique des artistes de la tradition religieuse, les œuvres d’art actuelles reprennent place dans les sanctuaires selon d’autres modalités, témoignant d’un nouvel intérêt pour l’Homme, comme donnée essentielle du sacré et du religieux. Les Eglises de leur côté ne s’y montrent pas insensibles, et, grâce aux paroles de certains représentants ecclésiastiques particulièrement charismatiques, Elles ont compris depuis quelques années les enjeux d’un dialogue renouvelé avec l’art de leur époque. Entrant alors dans la sphère de la représentation, propre au monde de l’art contemporain, les paroisses parisiennes se mettent en exposition avec l’œuvre, et se confrontent à tous les publics, y compris les pouvoirs politiques.

Or, si ce sujet délicat est abordé sous l’angle du regard, des regards, c’est pour mieux démontrer que la rencontre entre l’art contemporain et les réalités religieuses est avant tout une question de points de vue, de celui qui crée, de celui qui dispose, qui regarde, qui interprète. Nous nous trouvons face à une autre définition de l’exposition, au sens contemporain du terme, à savoir un cadre perceptif et réactif dédié à l’œuvre d’art. La confusion entre les champs de la religion, de la foi, de l’amour de l’art et de la création aboutit à un ensemble, composé des lectures différentes, nécessairement orientées et résolument subjectives. De l’artiste au curé de paroisse, du responsable du patrimoine aux instances diocésaines, l’Œuvre et l’Eglise sont autant d’agents actifs qui font de cette rencontre fugitive un échange complexe et non moins productif. Le fait d’envisager les églises dans une problématique culturelle peut faire émerger certaines défiances ou animosités envers l’art contemporain, la religion ou les institutions publiques. A l’inverse, formes et idées concourent à dessiner les contours d’une nouvelle tendance de l’art actuel aussi bien qu’elles signifient la renaissance d’un acteur culturel, discret dans ce domaine depuis la fin du XIXème siècle, l’Eglise.

Charlotte Szmaragd