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Réflexion

F. Boespflug : 30 années de recherches sur l’histoire iconique de Dieu

Ces notes de l’intervention de François Boespfug, et du débat qui a suivi, ont été réalisées par Geneviève Hébert.

 Compte rendu du livre de F. Boespflug, Dieu et ses images. une histoire de l’Eternel dans l’art (Paris, Bayard, 2008).
 Compte rendu du livre de F. Boespflug, Caricaturer Dieu ? Pouvoirs et dangers de l’image, (Paris, Bayard, 2006).

Alors que son monumental ouvrage, Dieu et ses images, paru en octobre 2008, est l’aboutissement de « trente ans de recherches dans un monde d’images... une traversée de l’océan en barque et à la rame », François Boespflug (F.B.) a choisi de nous parler de sa recherche, de sa méthode et des perspectives qui sont les siennes, autour de la thématique de l’iconographie chrétienne.

1/ La genèse de cette recherche

Elle s’est constituée autour de trois expériences du jeune religieux dominicain :
 a/ formateur de moniales dominicaines, lors d’une session sur la Trinité et les Triades dans l’histoire des religions, il cherche des images de la Trinité, en pensant que cela serait « récréatif » et que les ressources spécifiques d’un registre d’images permettrait une sensibilisation au dogme. Il découvre alors la puissance évidente pour tous les publics d’images - fortes bien entendu et non faibles -, un véritable « banquet de l’esprit ».
 b/ Passionné de Dieu, il cherche ce qui de Dieu peut se montrer, s’expérimenter. Cela requiert de l’endurance, l’énergie profonde d’une quête qui n’est pas seulement pédagogique et intellectuelle.
 c/ en tant que prédicateur, il découvre l’intérêt de laisser une assemblée sur une image forte, et ainsi effectue le passage de la métaphore à l’image plastique.
La question s’est vite posée : qu’est-ce que l’annonce de l’Evangile peut recevoir des registres d’images ?

Assez rapidement le plaisir a pris le relais du devoir. En l’absence d’une formation d’historien d’art, F. B. applique la méthode du collectionneur constituant un herbier, avec l’idée d’accueillir toutes les images de « l’iconocosme occidental ». Devant choisir un sujet de thèse (soutenue en 1983), il s’intéresse aux normes théologiques der la représentation de Dieu dans l’art, et vérifie qu’il n’y a pas de théologie de l’image en Occident (quelques textes du Magistère n’y suffisent pas). F. B. passe ensuite des écrits sur l’art à l’art lui-même. A partir de quand une image a-t-elle pour visée de dire quelques chose de Dieu, le Christ est-il la visibilité du Père et y a-t-il des images de la Trinité ?

2/ Les résultats

F. B. réussit à dégager les étapes d’une histoire iconique de Dieu. Histoire spécifique obéissant à des rythmes particuliers et qui n’a aucunement été programmée.
 a/ II repère ainsi le tournant du 3° siècle après une phase aniconique (Le christianisme s’est d’abord passé des principaux médias du temps, et l’aniconisme reste une de ses potentialités). C’est le début du règne du christomorphisme de la représentation chrétienne de Dieu. Ainsi le Pantocrator. L’art est celui de l’icône, art de la rencontre, de la présence en vue d’une rencontre. On a des icônes du Fils, de la Vierge, des saints, des anges. Mais Dieu est vu en Christ et le Décalogue toujours actuel. Comme l’a montré A. Grabar, l’an 843 voit le triomphe de l’orthodoxie et d’une théologie de la vision prophétique.
 b/ À partir du IX° siècle (Psautier d’Utrecht) apparaissent des représentations de la Trinité dont les principaux types se déterminent au XII° : le Trône de Grâce, la Trinité du Psautier (le Ps.109 est vingt fois cité dans le Nouveau Testament), la Paternité, la Trinité triandrique (3 hommes, trois triplés), des Trinités trifaces, tricéphales et trifrons. Ces cinq familles vont survivre longtemps, sauf la Paternité qui s’étiole.
 c/ À partir de 1680, et peut-être en lien avec l’effondrement de la culture biblique au XVIII° siècle - cf. la mise à l’index de la Bible en langue vernaculaire par Paul III), les grandes théophanies bibliques disparaissent.
 d/ Après 1860, c’est la dissociation dramatique des grands arts et des arts pieux. C’est l’entrée en déshérence de Dieu et de la Trinité. Et l’Eglise se voit au XX° siècle privée de cette image. Une représentation du Crucifié n’est pas forcément une représentation de Dieu. Cet « archi-symbole du Christianisme » (dont le plus ancien exemple se trouve à Sainte Sabine en 420) suscite aujourd’hui, « paradigme de l’humanité maltraitée », une véritable fascination dans un esprit de réquisition militante pour toutes sortes de causes. Ce motif du Crucifié est avant-coureur d’une mondialisation iconique. Comment désormais la question de Dieu dans l’art va-t-elle son sens autrement que par survivance volontariste ?

3/ les perspectives

Une meilleure vision des grandes évolutions de l’iconocosme par rapport au contexte historique. Il n’y a pas de corrélations strictes. Des corrélations sont même difficiles à établir. Par exemple la Grande Peste n’a pas d’effets repérables sur l’histoire de l’iconographie de Dieu. Comment interpréter la stabilité de cette iconographie ? On a soutenu que Le Couronnement de la Vierge d’Enguerrand Carton était un effet du Concile d’Union avec les Orientaux de 1454. Cette thèse ne tient pas : Le Couronnement est typiquement occidental. Autre exemple : l’effet de Vatican II sur l’art chrétien - cette question est-elle seulement pertinente ?
D’autres questions se posent :
 a/ Quelle gestion les Eglises peuvent-elles faire de l’immense patrimoine de l’image de Dieu ? Alors même que les trois grands monothéismes se doivent de réagir sur les images déformantes de Dieu. Ne conviendrait-il pas de créer de nouvelles instances d’églises ?
 b/ « Dieu à l’exportation » - l’expansion missionnaire a répandu une iconographie. Mais qu’en est-il de la réception de ces images dans les différents continents ? Quelles directives ont été données aux missionnaires ? Il y aurait là plusieurs sujets de thèses. Il en va en fait de la perméabilité interculturelle. Ainsi les représentations anthropomorphes ont-elles été adoptées « goulûment » au Mexique et plus largement en Amérique latine, alors que le triandrisme n’a eu aucun succès en Asie. Et en Afrique ?
 c/ « Un art chrétien au XXI° siècle » (intitulé du séminaire de F. B. au Centre Sèvres)... art sacré, art liturgique, art catéchétique, art chrétien... c’est une véritable Tour de Babel ! d/ Quelle sorte de figuration de Dieu et de la Trinité susciter ou encourager ? Une telle question doit être œcuménique. C’est une question complexe pour un théologien.

4/ Le débat

Dans le débat qui suit, la question est posée par Sylvie Barnay de savoir ce qui porte une image au-delà d’elle-même. Y a-t-il un inconscient du monde des images qui coïnciderait avec l’imaginaire de chaque époque ? Ne peut-on encore parler d’images prophétiques comme par exemple, la 15° station du Chemin de Croix demandé par Jean-Paul II : le crucifié ressuscitant. Par ailleurs y a-t-il une histoire et un enseignement théologique à tirer de l’histoire iconique ? L’image peut-elle être considérée comme un lieu théologique ? F. B. signale que la liturgie et plus largement la dévotion sont des lieux structurels de croisement où le dogme devint le bien de la sensibilité chrétienne (échange entre Dieu et l’homme du point de vue iconique). Mais il voit une grande différence : la liturgie est normée, il y un ordre. Le monde des images est sans ordre, sans norme. Et finalement pour la liturgie compte bien plus l’architecture et le vitrail que les images.

Jérôme Cottin exprime alors la réaction du théologien réformé. En l’absence d’image du Christ (puisque pas d’image de Dieu), un tel lieu cependant existe : la prédication. Il faut que le texte redevienne parole vivante. Mais on découvre qu’il n’y a pas que des signifiants acoustiques (cf. la prédelle de Wittemberg. C’est aussi l’image qui peut être parole vivante - « l’image est une prédication pour les yeux » disait Luther. F. B. ne partage pas cette affirmation. Il la comprend (elle se déploie encore au XVII°), mais il ne croit pas que l’image puisse être témoignage (« jusqu’à risquer sa peau »). Un deuxième argument pour lui est que l’image est seconde. Elle ne peut « prêcher » que parce qu’il y a déjà le texte. François Bissara-Fréreau objecte alors que, ne connaissant pas la Bible, ce sont des images qui l’ont bouleversée. F B. ne le conteste pas, mais pour lui une image n’est jamais réductible à un énoncé ; elle n’a pas de fonction allocutoire. Sauf dans les récits médiévaux, une image ne parle pas. Elle fait écho.

Y a-t-il eu une mise à l’index d’images, car de nombreuses images ne correspondent pas toujours au dogme ? Dans le Dictionnaire de Droit Canonique de Naz (publié entre 1935 et 1965), on trouve un recueil quasi exhaustif des condamnations d’images. Mais il n’y a pas eu de réflexion. L’Eglise sait juger les phrases, elle ne sait pas juger les images. Les images condamnées par l’Inquisition l’ont été pour leurs légendes !

Y a-t-il des choses qu’au bout du compte F. B. refuse ? Petit à petit la contemplation de ce matériau d’une part l’a conduit à rebaptiser certains sujets, et d’autre part à faire une évaluation pas seulement esthétique ni même théologique, mais théologale. Il y a des images qui réchauffent la Foi, l’Espérance et la Charité, et d’autres qui les découragent. Il juge ainsi « nauséabonde » les images du Pressoir Mystique.

A la question de savoir ce qu’il entend par « survivance volontariste », F. B. répond qu’il ne s’agit certes pas d’un encadrement. Mais on peut éclairer et accompagner la production d’images par un débat exigeant. L’art de formuler des souhaits, pourquoi pas d’établir un cahier des charges s’est un peu perdu ! On a en effet ici à faire à un sujet très particulier, rigoureusement délimité : l’art qui peut entrer dans les églises doit respecter certaines conditions. Cf. Sacrosanctum Concilium, ch.7. Aucun style particulier n’est requis, mais il faut que l’art se mette au service de la liturgie et accepte une part de formation venant de l’Eglise : « les artistes ont à apprendre de l’Eglise... ». Il faut respecter le sens des Assemblées, la finalité des lieux, etc.

Quel rapport entre la diversité artistique et l’exégèse ? L’art chrétien est libre des évolutions de l’exégèse. Les thèmes ont des vies relativement autonomes selon les contextes. Pour plusieurs participants le problème ne serait pas posé de la même manière chez les Protestants. On donne comme exemple l’incongruité de la Création par Michel-Ange pour illustrer une cassette pédagogique sur la Création du Monde dans les trois monothéismes !

Geneviève Hébert