L’artiste plasticienne Sylvie Tschiember a réalisé une installation à partir du verset de Marc 1, 15. C’est une première : qu’une forme d’art aussi contemporaine soit installée dans une église protestante ; église fort ancienne de surcroît (c’est une ancienne église catholique donnée aux luthériens au moment du Condordat).
Le verset de Marc 1, 15 est présent d’une double manière : suspendu en l’air, inscrit sur des plaques de plexiglas accrochés à l’imposant lustre qui tombe de la voûte ; et posé sur le sol, par des lettres découpées qui entourent l’autel : le haut et le bas, le ciel et la terre.
Cette installation dit la présence du message annonciateur de l’Ecriture, partout en tout et en tous.
Il disait : Le temps est accompli et le royaume de Dieu est proche. Repentez-vous et croyez à la Bonne nouvelle. » Marc 1.15
– Sur Sylvie Tschiember
– Sur Charlotte Szmaragd
Texte de Charlotte SZMARAGD, auteure d’un mémoire de l’Ecole du Louvre sur le thème : "L’église comme lieu d’exposition de l’art contemporain. Dialogue entre le christianisme et la création vivante au travers des expositions d’art contemporain dans les églises parisiennes du milieu des années 1990 à nos jours".
« Il disait : Le temps est accompli et le royaume de Dieu est proche. Repentez-vous et croyez à la Bonne nouvelle. » Marc 1.15
Dans le chœur de l’église réformée des Billettes, un message est descendu du ciel, porté par la foi d’une artiste contemporaine, Sylvie Tschiember. Art, Lumière et Parole se mêlent dans une expérience chimique interrogeant l’espace, le temps et le spectateur.
Venue de Bretagne où elle enseigne et crée, Sylvie Tschiember associe, dans son œuvre, foi et expression plastique afin de « communiquer « haut et fort », par des mots, des couleurs et des formes, la Parole qui fait vivre ». Elle crée pour l’église des Billettes une œuvre originale in situ, comme un outil de dialogue entre la transcendance du Verbe et la vérité du lieu. Suspendus au lustre de l’église, huit panneaux de plexiglas traversent l’espace du chœur projetant les paroles bibliques inscrites sur les surfaces transparentes dans tout l’espace religieux. Au sol, les mêmes paroles leur répondent, tel un écho de la terre au ciel, une prière murmurée de l’église vers Dieu.
Relevant le défi de l’installation in situ, à savoir une élaboration spécifique et orientée pour un lieu précis, l’artiste doit en explorer toutes les composantes en vue de faire œuvre. Dans l’église, une dualité s’opère entre le caractère concret de l’architecture auquel est attaché une substance matérielle, une forme, une texture, une couleur, et celui spirituel et immatériel de la pratique religieuse. « D’un côté le lieu est immatériel, car il est lieu de mémoire, de célébration et créateur d’une culture ; c’est lui qui donne sens, qui fait passer d’une réalité à une autre. De l’autre côté, l’espace est concret et son architecture (l’autel, la cathèdre, etc.) est une base matérielle à partir de laquelle peut se développer le lieu ». L’œuvre de Sylvie Tschiember, en prise directe avec ce contexte particulier d’existence, joue avec subtilité sur cette double polarité. La transparence du support sur lequel sont gravées les lettres ne vient pas contraindre l’espace bâti mais, tout au contraire, le révéler comme au travers d’un filtre discret. Et pourtant son action est déterminante, car au fil des lumières et des orientations, les mots viennent s’inclure dans tout ou partie de l’édifice donnant une résonance nouvelle à son architecture.
Si l’art est une insertion dans le monde concret, c’est par lui qu’il se dévoile. En effet, l’œuvre se fait ici médiateur, faisant de la lumière son véritable médium. Symbole puissant chez les chrétiens, présent dans l’Ancien et le Nouveau Testament, la lumière évoque la présence divine, mais aussi la joie, le bonheur, la pureté, en opposition aux ténèbres, symbole de l’ignorance ou du mal. Depuis la période baroque, la lumière a joué un très grand rôle dans les œuvres d’église, outil d’une mise en scène résolument expressive au service d’une rhétorique de la passion. Qu’elle soit réelle ou figurée, la lumière traduit l’intensité et la grandeur de l’instant. Nous pensons à L’Extase de Sainte Thérèse où le génial Bernin a matérialisé la lumière divine comme le personnage principal donnant vie à la composition . Ainsi l’œuvre de Sylvie Tschiember, pleine de toutes ses traditions, se sert du rôle émotionnel de la lumière pour créer une scénographie contemporaine.
Le rôle central donné à la lumière par l’artiste souligne le caractère éphémère de son installation. Si l’œuvre n’est destinée qu’à demeurer de manière temporaire dans l’église, elle sera soumise au changement fugace de la lumière. De même, en manipulant la lumière, Sylvie Tschiember sollicite les sens. Elle se joue de la perception du spectateur, elle la bouscule. L’église, qui est aussi le lieu d’une pratique, est alors ouverte aux différentes subjectivités des croyants. L’œuvre se modèle à ces visions multiples et se modifie selon les points de vue et les orientations. Des jeux d’anamorphoses se créent entre les mots suspendus et ceux inscrits au sol et symbolisent les diverses interprétations que suscitent les saintes écritures, au fondement même de la religion et de la foi. Le spectateur devient alors un agent actif et enrichie l’œuvre par son regard.
L’artiste met ainsi en exergue l’incroyable lien qui unit le mot à l’espace et la foi à l’art. Ce mot ne définie pas, ne délimite pas, mais ouvre sur une multitude de visions soumise à la vérité de chacun. Nous connaissons le rôle éminemment important du texte dans la culture religieuse judéo-chrétienne, qui, au travers des saintes écritures, formalise la parole de Dieu, donne corps à l’essence divine, permet sa connaissance et son enseignement. Dans l’église chrétienne, il a une place privilégié dans le sanctuaire, successivement posé sur l’autel puis sur l’ambon, lieu de la parole. Davantage dans l’église réformée, la parole est ce qui unit et rassemble l’assemblée des croyants ; il est fondateur et au centre de toute pratique. L’œuvre reprend cette dynamique et figure cette union qui enveloppe tout l’édifice jusqu’au spectateur. Le mot est magnifié par l’art, prend d’autres proportions, d’autres dimensions. Comme le disait Magritte : « Peints dans un tableau, les mots n’ont pas le même pouvoir ou la même fonction que dans un texte. Mais tout à coup la peinture fait songer à ce pouvoir et rend un magnifique hommage à leur puissance . »
C’est alors la force évocatrice du verbe, du mot, qu’exprime Sylvie Tschiember dans cette œuvre. Prenant le langage comme véhicule d’une pensée plastique, cette démarche évoque celle, areligieuse et revendicatrice, de l’artiste contemporaine Jenny Holzer, qui a fait de l’écrit son principal médium. Elle présentait en 2001 dans le chœur de la chapelle Saint-Louis de la Salpêtrière, Je lis ta peau, une installation monumentale, sur un pilier lumineux de 36 mètres de haut, où défilaient des textes dont elle était l’auteur. Du sol à l’oculus de la coupole, les textes semblaient se diriger vers le ciel, comme un message directement destiné à une instance supérieure et extérieure. Cette parole professée visuellement dans l’église, qu’elle soit issue des évangiles ou de l’inspiration de l’artiste, dit davantage que ce qu’elle donne à voir. L’œuvre devient le messager de la Parole à transmettre.
De la fugacité de l’exposition et du point de vue à l’intensité du mot, il s’agit d’un temps de rencontre. D’Eternité, L’instant, comme l’énonce le titre, est une rencontre brève, éphémère mais qui marquera pour toujours. Une œuvre est avant tout une démarche, ou un cheminement, qui prend un temps spécifique, parfois court, parfois long. Le contexte de perception et d’existence de l’œuvre d’art se présente comme une stratification d’espaces, de sens et de temps, de paroles et d’écrits, de dimensions superposées et de temps accumulés. Aussi Sylvie Tschiember se place t’elle en accord avec les pratiques et productions artistiques contemporaines, dans lesquelles il est question de « l’expérience du temps, de la fragilité de l’éphémère au culte de la mémoire ou à la nostalgie du passé, de la peur ou du désir d’avenir et du futur à l’angoisse, à la joie voire l’ennui de l’instant présent ». Du point de vue culturel et religion, le temps constitue un mythe, un aspect fondamental de la croyance et de l’espoir. Ce temps philosophique est confronté au temps réel des matériaux de réalisation et du cadre de présentation. Du temps comme sujet et comme objet, la temporalité de l’œuvre s’incorpore au propre rythme du lieu d’église. L’œuvre de Sylvie Tschiember se situe au centre de cette double temporalité : le temps de l’instant où elle est vue et perçue, et le temps prometteur, infini, éternel de l’édifice et des cœurs dans lesquels elle va laisser une trace.
Charlotte Szmaragd