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Bibliothèque (1990-2022)

Maritain et les artistes : Rouault, Cocteau, Chagall...

(Catalogue d’exposition)

Claude LORENTZ (éd.), avec des contributions de Michel Cagin, Giulia Radin, Isabelle Saint-Martin, Florian Michel, Michel Fourcade, Sylvain Guéna, Madeleine Zeller, Louis Chamming’s

C’est en 2014 que la BNU de Strasbourg a acquis les archives de Jacques et Raïssa Maritain, du fait de la relation particulière qu’ils ont eue - à la fin de leur vie - avec l’Alsace, où ils sont enterrés (à Kolbsheim). Moins de deux ans après, la même BNU nous offre une magnifique exposition de quelques-unes de ces archives, centrées sur la relation du couple avec quelques-uns des plus grands artistes du XXe siècle.

Le couple Maritain (on regrette que le titre et visuel de l’exposition aient laissé de côté l’épouse), se distingue des intellectuels du début du XXe siècle de plusieurs manières : - Sa conversion au catholicisme en 1906 : lui venant de milieu protestants laïcs - son grand père maternel Jules Favre, protestant libéral, fut ministre et l’un des fondateurs de la IIIe République - et elle, russe et juive ayant fui les pogroms ;- Son engagement et sa réflexion en couple, lui plus philosophe, elle plus poète ; - L’accueil exceptionnel qu’il fit aux peintres, poètes, écrivains, musiciens, dont la plupart firent partie de l’avant-garde artistique ; - Enfin son engagement pour un "art sacré au XXe siècle".

On réalise à quel point, dans la première partie du XXe siècle, le catholicisme était un mouvement de pensée stimulant, capable d’entrainer intellectuels et artistes dans l’aventure de la foi, après - ou de manière concomitante à - celle de l’art.

De l’itinéraire des Maritain, on soulignera leur exil aux USA pendant la seconde guerre mondiale, le rôle de Jacques comme ambassadeur de la France au Vatican de 1945 à 1948, puis son enseignement de philosophie à l’Université de Princeton à partir de 1948.

Le catalogue de cette émouvante exposition ne s’appesantit pas par des textes trop longs et trop érudits. Il présente surtout des témoignages personnels et intimes, faits de lettres, cartes postales, photos, dessins ou croquis, extraits de textes et de poèmes des Maritain et aux Maritain.

Concernant la position de Jacques Maritain sur les rapports entre art et christianisme, on retiendra ce jugement, toujours d’actualité : "Si vous voulez faire une œuvre chrétienne, soyez chrétien, et cherchez à faire une œuvre belle, où passera votre cœur, ne cherchez pas à ’faire chrétien’" (Art et scolastique, p. 112). C’était, à l’époque, d’une grande modernité.

La liste des artistes qu’ils côtoyaient de manière parfois intime - ils invitaient régulièrement ces artistes dans leur maison de Meudon - est longue : Léon Bloy (à l’origine de leur conversion), Georges Rouault, Gino Severini, Jean Hugo, Guy de Chaunac, Marie-Alain Couturier (dominicain et promoteur de "l’art sacré"), Henri Ghéon, Jean Cocteau, Max Jacob, Maurice Sachs, Georges Auric, Manuel de Falla, Igor Stravinsky, Nicolas Nabokov, Anthur Lourié, et aux USA Théodore Brenson, ANdré Girard, John Howard Griffin. Plusieurs d’entre eux embrassèrent aussi le catholicisme.
Mais c’est surtout avec Marc Chagall - un compatriote de Raïssa - que l’amitié et la collaboration fut la plus poussée : Raïssa a écrit sur Chagall, et Jacques réussit à le convaincre de créer une œuvre pour l’église ND de toutes-Grâces au plateau d’Assy. Madeleine Zeller, conservatrice à la BNU, étudie attentivement la relation du couple Maritain à Marc Chagall, qu’elle connaît bien.

Les deux principaux ouvrages théoriques sur l’art du philosophe, très marqué par la pensée thomiste, sont le classique Art et scolastique (1920) et L’intuition créatrice dans l’art et la poésie (1953, en anglais, 1966 en français).

Le protestant regrettera que l’on n’ait pas plus exploré (mais cela pourrait faire l’objet d’un travail futur), l’influence et l’héritage du protestantisme libéral du philosophe sur un double plan : - son ouverture aux arts et à la culture contemporaine, et - sa parole de théologien-philosophe laïc. Deux caractéristiques rares dans le catholicisme de l’époque, et qui pourraient remonter à cet héritage protestant libéral, plus attiré par l’accueil et l’interprétation de la culture que par l’affirmation du dogme (même si Maritain fit les deux).

Jérôme Cottin