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Réflexion

Iconoclasme

III. L’iconoclasme : une forme d’idolâtrie ?

Les motifs qui sous-tendent l’iconoclasme protestant furent multiples, et il n’est pas toujours facile de les identifier clairement. L’iconoclasme fut en tous cas autre chose que du simple vandalisme : contestation des pouvoirs dominants, dématérialisation du sacré, obéissance à un biblicisme strict, volonté d’enrichissement personnel ou collectif, lutte contre les superstitions. Tous ces motifs existent et souvent cohabitent.

Mais d’autres raisons viennent encore d’être mises en avant par les historiens de l’iconoclasme, à l’occasion de la récente exposition sur ce thème à Berne et Strasbourg : l’iconoclasme fut un véritable langage qui répond à des intentions théologiques précises. Et dans ses aspects les plus archaïques, il devint même une ultime forme d’idolâtrie, une sorte idolâtrie « en creux », négative.

L’iconoclaste n’opère pas en effet pas de manière aveugle. Il choisit soigneusement sa cible, qu’il mutile plutôt qu’il ne la détruit. C’est ainsi que les statues des Saints n’étaient souvent que très partiellement détruites. Elles étaient mutilées, comme on l’aurait fait pour un supplice ordinaire : on écartelait le Saint, on le brûlait ou le décapitait ; on lui arrachait les yeux pour qu’il ne puisse plus voir, les oreilles pour qu’il ne puisse plus entendre, les lèvres pour qu’il ne puisse plus parler. Les iconoclastes faisaient ainsi subir le martyre à nombre de leurs victimes en images qui étaient souvent jugées avant d’être mutilées. Ils faisaient subir aux idoles les humiliations et tortures dont ils étaient eux-mêmes victimes, en une sorte de réitération du martyre. Cela supposait que l’on accordât une existence, une âme, des sentiments à ces objets inanimés. Ainsi a-t-on pu parler, à ce propos, « d’idolâtrie inversée ». Par exemple, ce syndic genevois qui piétine les hosties pour voir si elles se mettent à saigner, ce qui prouveraient qu’elles sont le « vrai Dieu » ; tel autre habitant de la cité lémanique s’étonne qu’un chien, à qui il avait donné à manger des hosties, ne s’écroule pas raide mort sur la chaussée. Les iconoclastes semblent alors incapables de différencier le symbolique du réel, la représentation de la personne représentée, le signe de la chose. Comme s’ils croyaient encore en l’efficacité des idoles. L’acte iconoclaste aurait dans ce cas pour principale fonction de s’assurer que l’idole n’est rien

Les destructions revêtaient souvent un caractère moins dramatique. Mais elles obéissaient alors à une intention précise, à des mobiles que l’on peut retrouver derrière l’acte lui-même. Ainsi, l’un des panneaux du retable de la cathédrale de Genève, fait par Conrad Witz, montre que seules les représentations du Christ et de la Vierge ont été égratignés ; la représentation des autres personnages ne posait manifestement pas problème. A l’inverse, un retable médiéval du 15e siècle représentant la Messe de Saint-Grégoire montre que toutes les figures ont eu les yeux crevés, à l’exception de la personne du Christ : l’auteur du méfait a sans doute craint que l’offense faite sur l’image du Christ rejaillisse sur sa personne. Autre exemple parlant : le Christ en Majesté du tympan du portail sud de la cathédrale de Bourges a eu en 1562 la main droite, celle qui bénissait, coupée. En revanche, la main gauche, qui tenait le Livre ouvert, est restée intacte, tout comme le Livre lui-même : en les brisant, l’iconoclaste aurait été contre sa propre conviction qui consistait à rendre à la Bible sa place centrale dans l’économie du Salut offert en Christ.

L’iconoclasme constitue ainsi un langage complexe, pour un temps de crise. Un langage paradoxal, contradictoire même, qui refuse ce qu’il continue partiellement de croire, et construit en détruisant. Il témoigne d’un changement brutal dans la conception du sacré, en même temps que la persistance de ce même sacré dans l’objet, à la fois repoussant et fascinant, rejeté et craint, adoré et détesté .

Nicolas Manuel, un artiste devenu iconoclaste

La destruction des images fut tragique pour les artistes. Beaucoup se retrouvèrent sans travail, sans commandes. En 1525, les peintres et graveurs strasbourgeois se plaignent auprès du Conseil de la ville d’être gravement menacés dans leur existence en raison de l’interdiction des images. Certains, comme Hans Holbein, doivent s’exiler en Angleterre. D’autres s’engagèrent comme mercenaires. Mais, parfois, ce sont les artistes eux-mêmes qui sont leurs propres détracteurs et qui, pour cause de foi, renient ou refoulent leurs dons artistiques. C’est le cas pour Nicolas Manuel (dit “ Deutsch ”), artiste bernois de renom, mais aussi l’un des chefs de file de la Réforme dans cette ville. Manuel est l’auteur d’une célèbre Danse macabre (1516-1520), œuvre retouchée et “ protestantisée ” par des successeurs peu scrupuleux (le prédicateur catholique est devenu un pasteur réformé). Mais l’artiste cesse de peindre en 1527 pour se consacrer entièrement à la cause de la Réforme. Il siégera par la suite au Conseil de la ville où il fera preuve d’un iconoclasme virulent. Il utilisera ses dons artistiques pour combattre les arts : Manuel exécute en effet un dessin au crayon, Josias abattant les idoles, qui justifie l’iconoclasme à partir de ce récit de l’Ancien Testament. Mais un récit qu’il juge pourtant nécessaire de représenter visuellement. Il fait ainsi participer l’image à sa propre mise en accusation.

Il a dit :
«  Toutes les fois que l’on représente Dieu en image, sa gloire est faussement et méchamment corrompue.  »
Institution de la religion chrétienne, Jean Calvin

Jérome Cottin
(article parru dans Réforme N° 2967)

Pour poursuivre...
 Iconoclasme Vie et mort de l’image médiévale Cécile Dupeux, Peter Jezler, Jean Wirth
éd. catalogue des expositions de Berne et Strasbourg
Somogy éditions d’art, 2001. en savoir plus