Bibliothèque personnelle (2001), installation de Guillaume Gouilly Frossard
[1] Un catalogue bilingue de l’exposition a été publié par les éditions Labor et Fides, 2002.
L’art figuratif ne se limite plus aujourd’hui aux supports traditionnels. Depuis 1960 environ, de nouvelles formes d’art sont apparues, qui constituent autant de laboratoires de la création contemporaine. Ces mouvements d’avant-garde, on doit apprendre à les connaître. Il ne s’agit pas de juger des expériences artistiques souvent dérangeantes. Il s’agit de découvrir cette avant-garde culturelle dans un esprit de curiosité et d’intérêt. Chercher à comprendre la démarche proposée (même si elle est souvent provocante) et non d’abord critiquer ou condamner. Une attitude d’ouverture qui fait honneur à la curiosité protestante de celui pense que la Parole peut prendre toutes les formes et se couler dans toutes les cultures, y compris celles qui sont les plus éloignées de la tradition dont on se réclame.
Ces mouvements artistiques n’ont évidemment, au départ, rien de biblique ou de protestant. Dans leur esprit, et par la démarche qu’ils proposent, ils ne sont toutefois pas sans analogie avec une éthique biblique de l’art. Ils privilégient en effet le mouvement sur l’immobilité, l’idée sur la matière, la pauvreté sur le luxe, la participation sur le spectacle, la fragilité sur la puissance.
Ces nouvelles tendances artistiques ont de surcroît en commun de chercher à impliquer le spectateur dans l’acte de création : par ses mouvements, ses gestes, ses attitudes, ses critiques voire ses refus, il contribue à la création de l’œuvre dont il est - parfois à son insu - un des éléments constitutifs. Du reste on ne parle plus d’œuvre ni d’objet d’art mais « d’installation » ou de « performance », pour exprimer l’idée de base que l’art est un événement - souvent éphémère - en train de se dérouler, et qui ne dure que le temps de sa réalisation.
Un exemple : en 2002 eut lieu dans l’abbaye de Maubuisson, à l’initiative du Conseil général du Val d’Oise, une exposition intitulée Simulation. L’une des réalisations, une « installation interactive » de Jean-Baptiste Barrière, était une mise en scène de deux versets de l’Ecclésiaste (1, 2 et 1, 8) que l’on entendait dans un enregistrement sonore. En entrant, le visiteur est invité à se rendre au centre de la grange médiévale, où se trouve un puits de lumière, à la fois écran et miroir. Quand il s’en approche, il est confronté à sa propre image, laquelle est captée et mémorisée par des caméras, puis reprise par des reflets électroniques. Le visiteur s’éloigne, et son image reste et continue à se transformer. Il se joue là la mise en scène de la constitution de l’individualité et de l’altérité, à travers la perception de soi-même comme autre. Peut-on parler de prédication en acte ?
Un jeune artiste, Guillaume Gouilly-Frossard, réalise des installations qu’il expose en France et au Japon. Dans l’une d’elles, il propose au spectateur de s’asseoir sur une chaise, un livre à la main. Sa tête vient toucher une énorme boule suspendue, qui représente les textes et lectures qui l’habitent. Peut-on voir dans la place centrale accordée à l’écrit, une métaphore de l’importance du Livre pour cet artiste qui ne renie pas son protestantisme ?
Déjà dans les années 1960, l’un des plus grands artistes de l’époque, l’allemand Joseph Beuys, avait imaginé l’art comme une mise en scène de lui-même, dans des situations inédites ou grotesques. Beuys, on le sait, accompagnait ses « performances » d’une mystique christique : il exécutait une œuvre sur le modèle du Christ, qui restait pour lui un absolu inatteignable. Dans l’une des plus célèbres, qui se déroula à Bâle en 1971, l’artiste, comme Jésus avec ses disciples, se mit à laver les pieds des spectateurs.
Si on élargit la perspective, on trouvera dans de nombreuses tendances de l’art actuel des liens avec l’Evangile : L’arte povera (art pauvre) et l’art minimal s’opposent à la toute puissance de la technique et privilégient les matériaux pauvres, insignifiants, ce que la société rejette. Le land Art crée des œuvres éphémères à partir de la nature, en utilisant la notion de trace, comme pour mieux respecter ce que Dieu a créé. L’art conceptuel cherche à mettre en forme des idées fortes, qui priment sur les oeuvres. Les monochromes, peintures sans représentations et d’une seule couleur représentent le vide, et s’inspirent souvent de démarches spirituelles ou mystiques. Enfin le Body Art, l’art sur le corps, considère que le corps humain est le seul objet possible de la création artistique. C’est aussi ce qu’avait dit Dieu dans la Genève.
Les 7 lieux spirituels de l’exposition nationale suisse.
Lors de l’exposition nationale suisse « Expo 02 », en 2002, une exposition artistique à caractère religieux intitulée, « Un ange passe : 7 lieux spirituels » a mis l’accent sur l’implication des spectateurs dans la création artistique [1]. Sur les bords du lac de Morat, 7 lieux ont été consacrés à des créations d’un nouveau type, par 7 artistes réputés, autour de 7 mots à consonance biblique : Mystère, Au-delà, Bonne nouvelle, Relations, Wort (parole), Segen (bénédiction), Création.
Dans presque chaque lieu, le spectateur est sollicité : ainsi le lieu « Bonne nouvelle » pose la question : « Qui es-tu pour Dieu ? » Un espace plongé dans l’obscurité propose un défilement de réponses de personnes ayant participé à ce sondage : une sélection de 50 réactions défile, et un dispositif permet aux visiteurs d’y inscrire leurs propres réponses. Le lieu « Au-delà » est une mise en scène de la parole de Paul, dans 1 Corinthiens 13, 12, où il est dit que maintenant nous voyons de manière confuse, au moyen d’un miroir, mais dans le Royaume nous verrons face à face, véritablement : dans un environnement blanc, un miroir circulaire et convexe renvoie l’image inversée et déstructurée du visiteur, et cette image évolue en fonction de ses déplacements. Le lieu « Wort » (Parole) propose une réflexion sur la fragilité de la Parole ; les pas des spectateurs font vivre des lettres ou signes typographiques inscrits sur le sol. Dans le lieu « Segen » (bénédiction), six paires de main sculptées sortent d’un mur. De minces filets d’eau coulent depuis les doigts, et suscitent, en réponse, les mains tendues des spectateurs. Il faut voir dans cette « œuvre d’art », une allégorie de la bénédiction de Dieu, protégeant le monde et offrant la vie (l’eau) avant toute initiative humaine.
Il a dit
« L’art nous met face à face avec la réalité même »
Henri Bergson
J.COTTIN
Pour poursuivre...
– L’art contemporain est-il chrétien ? Catherine Grenier éditions Jacqueline Champion (diffusion : Actes Sud), Nimes, 2003.
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