Jean Kaempfer, Philippe Kaenel, Alain Boillat, Pierre Gisel (éds.), Points de vue sur Jésus au 20e siècle, Etudes de Lettres 2/2008, Université de Lausanne, 2008, 170 pages.
Auteurs : Jean KAEMPFER, Philippe KAENEL, Alain BOILLAT, Pierre GISEL (éds.)
Quatre facultés de l’université de Lausanne (histoire de l’art ; histoire et esthétique du cinéma ; lettres ; théologie) se sont mises ensemble pour croiser les perspectives et champs de recherche sur les représentations de Jésus à la fin du 20e siècle. Les expressions artistiques et littéraires sur Jésus sont tellement nombreuses que toute forme d’art n’a pas pu être prise en considération (il manque en particulier le théâtre et les arts plastiques). Mais nous avons déjà ici un échantillon représentatif de la manière dont nos créateurs contemporains s’imaginent Jésus. Ce volume présente et analyse les œuvres suivantes : des négatifs - clichés inversés - du suaire de Turin ou, à l’inverse, les photos du Christ actualisé et féminisé de Renée Cox (Yo Mama’s last Supper) ; certains films sur Jésus (en particulier La dernière tentation du Christ de Scorsese et sa source littéraire le roman de Kazantzaki) ; des bandes-dessinées, ainsi que divers romans de science-fiction (Da Vinci code).
La figure de Jésus qui se dégage de ces relectures artistiques est marquée par le profane (voire la profanation), la subjectivité, le fantasme et le fantastique. Un Jésus fort différent de celui que l’on trouve dans les Evangiles et la tradition de l’Eglise, et qui tendrait à se rapprocher des récits hétérodoxes sur Jésus tels qu’on en trouve dans la littérature apocryphe des premiers siècles. Par rapport aux quêtes passées du Jésus historique, on est dans une logique qui paraît de prime abord opposée : Jésus est tiré du côté de l’avenir et de la modernité technologique, coupé du réel ; la légende et la fiction tiennent lieu de vérité. Mais il se pourrait bien que ce soit là une autre manière, détournée, de revenir au Jésus historique : science ou pseudo-science, fascination pour l’histoire, traces et indices (autour du Suaire), caméra subjective (le spectateur est invité à se mettre dans la peau du Christ) pourraient signifier que la quête de l’homme Jésus n’est jamais terminée : à travers elle c’est une exploration des profondeurs de l’humain qu’expriment les artistes et écrivains, et que reçoivent les spectateurs ou lecteurs.
Les auteurs se connaissent bien et ont l’habitude de travailler ensemble. Il y a dialogue, et renvois entre les auteurs, dont chacun essaye de comprendre le point de vue de l’autre. Par ailleurs, ils ont bénéficié des travaux historiques de cette université sur les récits apocryphes chrétiens des premiers siècles. D’où une thèse qui affleure à plusieurs reprises : les relectures littéraires et artistiques modernes s’inspireraient plus des apocryphes chrétiens que des récits canoniques, lesquels présenteraient une image relativement fade (ou sage) de Jésus (peu plastique, peu attrayante sexuellement etc.). Mais ce lien établi me semble moins évident que ne le disent les auteurs, pour plusieurs raisons : 1. Si les évangiles (et les autres écrits du NT) sont peu connus des artistes et du public, l’ignorance est encore plus grande en ce qui concerne les récits apocryphes ; les récits apocryphes n’ont-ils pas alors été survalorisés par nos auteurs ? 2. Le choix du corpus étudié - qui tourne majoritairement autour des œuvres de sciences fiction (dans la littérature et la BD) - est-il représentatif de la création contemporaine ; qu’est-ce qui a justifié le choix de ce genre littéraire ? 3. Le Christ des récits canoniques est-il si innocent et si sage que cela ? Rien n’est moins sûr (l’Apocalypse par ex., récit fantastique s’il en est, n’est pas pris en compte). 4. Enfin, paradoxalement, le grand silence des récits bibliques sur la vie intime et personnelle de Jésus pourrait au contraire stimuler l’imagination, tout comme l’impossibilité de savoir comment était Jésus physiquement permet de le représenter plus facilement à son image.
Un mot sur le titre : il aurait pu être plus précis : les oeuvres étudiées sont pour la plupart de la fin du 20e s., et il aurait été utile de préciser qu’il s’agit de points de vue "croisés", ou "artistiques" sur Jésus, afin de souligner d’emblée l’originalité de cette démarche, qui est de sortir du champ strictement littéraire. Pour le visuel de couverture, la reprise, en sanguine, du Christ en croix de Dali est en revanche esthétiquement fort réussie.
Ce volume annonce une suite, qui se tiendra lors d’un colloque international sur le même thème, qui aura lieu en mai 2009 à l’université de Lausanne.
Jérôme COTTIN