Marie-Alain COUTURIER, Se garder libre. Journal (1947-1954), Paris : les éditions du Cerf, 2008. 170 p. 20 cm. ISBN 978-2-204-08614-1. € 15.
Auteur : Marie-Alain COUTURIER
Cette seconde publication concerne des notes éparses du père Couturier pour la période de l’immédiat après-guerre (1947-54), justement celle où il réalisa l’ambitieux et novateur programme iconographique des Eglises du Plateau d’Assy et de Vence, avec l’aide des plus grands artistes de l’époque. L’intérêt de ce journal, constitué de notes éparses - parfois en style télégraphique - sur deux cahiers d’écolier, est multiple :
– D’abord, ses notes sur ses entretiens avec Matisse (avec lequel il était très lié), mais d’autres grands créateurs de son époque : Braque, Picasso, Rouault, Le Corbusier. Certes, ce ne sont que des bribes de conversation, mais elles nous montrent que ces créateurs dont certains, comme Picasso, étaient fort éloignés du christianisme, dialoguaient dans un climat de confiance et de passion mutuelle pour le langage de l’art, avec un père dominicain. Matisse : « Si je crois en Dieu ? Oui, quand je travaille, quand je suis soumis et modeste » (p. 63).
– Ensuite, des réflexions sur l’art contemporain, et plus largement sur la création artistique. C. insiste sur le lien entre création en individu, tout en soulignant qu’une création véritable ne se réduit pas à une simple expression subjective : « Braque me disait que le tableau est bon quand il s’est fait contre l’artiste » (p. 58). Le véritable sujet de la peinture, c’est la forme et la couleur, non le sujet lui-même : « Un tableau est un objet délicieux, délectable, à regarder, à toucher, par sa matière même » (p. 62). C. nous donne ainsi des clés pour recevoir en vérité l’art non figuratif, pour lui supérieur à la représentation : « Toute œuvre d’art doit d’abord être évidemment étrangère au monde naturel » (p. 100).
– Il esquisse aussi les liens ou analogies possibles entre l’expérience artistique et l’expérience religieuse : « La création portée à son maximum de pouvoir rédempteur par l’Incarnation de Dieu en elle » (p. 94). La notion (très large et ouverte pour C.) de « sacré » ou « d’art sacré » (il en donne une définition proche de celle d’A. Malraux). L’expérience artistique, dans son authenticité même, rejoint celle de la foi ou plutôt, de la Grâce.
– Enfin, C. nous livre des réflexions sur la foi et le christianisme, une foi fondée sur la méditation des Ecritures, une expérience de la Grâce, ainsi que sur une ouverture totale à l’autre dans sa propre quête de vérité, fut-elle celle du communisme. La critique du catholicisme n’est pas absente : « Tant de catholiques sont enfermés et dans leur foi (...).Tout cela n’a aucun rapport avec l’Evangile » (p. 90). Ou encore : « Les incroyants ne croient pas, parce que nous qui croyons, nous vivons comme si nous ne croyions pas » (p. 132).
Il faut parfois faire un effort, car ces notes, très personnelles, n’étaient pas destinées à être lu. Un tri s’impose. Mais fréquemment jaillissent des jugements - sur l’art, la vie et la foi - qui vont bien au-delà du contexte et de les ont vu naître.
Jérôme COTTIN