« Jésus et le paralytique » ; caricature de Plantu paru dans le journal Le Monde, à l’occasion des grèves qui ont paralysé la France en novembre 1995.
[1] « Kitsch, pervers et religieux », à propos de deux créateurs, photographes homosexuels, Pierre et Gilles, Le Monde, 11 décembre 1996.
L’année 2003 dite (par les chrétiens) « année de la Bible » est l’occasion de se demander ce qu’il reste de ce livre dans la culture actuelle.
A première vue, il n’en reste pas grand chose. La Bible est soit évacuée, soit marginalisée, soit ignorée dans une culture s’adressant à un public très largement déchristianisé. La culture d’aujourd’hui est sécularisée, non religieuse. Le christianisme, qui fut pendant des siècles l’inspirateur des arts et de la culture n’inspire plus les expressions artistiques actuelles.
Pourtant, à y regarder de plus près, on s’aperçoit que cette culture chrétienne subsiste, quelle est même beaucoup plus présente qu’il n’y paraît au premier abord. Mais il s’agit d’une présence discrète, fragmentaire, parfois inconsciente ou cachée. Au hasard d’une expression artistique, émergent une parole, une expression, un symbole, une image qui puisent dans le vieux fonds biblique. On trouve cela dans toutes les expressions artistiques : arts plastiques, musique, danse, mime, théâtre, littérature, caricature ; sur les différents médias : télévision, vidéo-clips, publicités, films, presse écrite. Cette tendance touche aussi bien la culture populaire (le chanteur Renaud et sa très médiatique croix huguenote ; les matchs de foot comparés à des « grand’messes » et les footballeurs « crucifiés » lors de matchs peu « œcuméniques » ; les Alleluia dans les supermarchés avant Noël) que ses expressions plus savantes (les projets artistiques qui mélangent églises romanes et art d’avant-garde, la redécouverte de la culture chrétienne, de l’esthétique baroque ou romane, l’engouement pour les racines bibliques du romantisme allemand).
La Bible subsiste donc de manière fragmentaire. Mais elle est aussi transformée ou encore détournée. De deux manières. D’une part elle est sortie de son contexte premier, qui était celui du christianisme, pour apparaître dans ces contextes qui lui sont étrangers, voire opposés : l’art pour l’art, le commerce, le sport, l’immanence des corps (et non plus la transcendance de Dieu), la sexualité, voire la pornographie [1]. D’autre part, ces citations bibliques ne sont pas littérales : elles se font de manière très libre, par une association arbitraire et subjective d’images et de mots. L’imagination, la liberté d’esprit et la puissance de création de l’auteur l’emportent sur la fidélité au récit biblique. Il n’y a plus aucune cohérence théologique ou logique exégétique. Il s’agit le plus souvent de plagiat, de parodies bibliques. Paroles et images sont travesties, surinterprétées, cachées sous leur contraire. Il y a mixage, mélange de symboliques contradictoires et de différents niveaux de sens. La Bible citée apparaît ainsi rarement seule, mais mélangée avec toutes sortes d’autres sources : légendes, mythes, actualité, autres religions ou spiritualités etc..
Nous pourrions être choqués de cela. Et nous le sommes effectivement, parfois non sans raison. Mais il faut aller au-delà de notre sentiment premier d’incompréhension, de révolte, parfois de dégoût. Pour plusieurs raisons.
Tout d’abord parce que la provocation, l’irrespect, la volonté de choquer sont, depuis les ready-made de Marcel Duchamp (son urinoir élevé au rang d’œuvre d’art en 1917), l’un des ressorts de la création contemporaine. On disait autrefois d’une œuvre qu’elle devait être belle. Il semble aujourd’hui qu’elle doive surtout être agressive, dérangeante. Si nous sommes choqués, nous répondons donc tout à fait aux intentions voulues par le créateur. Une autre raison est qu’il nous faut - et cela est très protestant - dépasser notre émotion première pour chercher à comprendre l’attitude, l’intention, la logique profonde qui ont présidé au geste créateur. Parfois il n’y en a pas. Mais il nous faut rentrer dans une démarche interprétative, qu’interdit une réaction superficielle ou moralisante. Enfin, l’extrême liberté de la création artistique, qui utilise une symbolique religieuse comme elle l’entend, est aussi la rançon d’un certain succès biblique : la Bible est bien sortie du ghetto religieux dans laquelle est s’est - ou on l’a - enfermée. Notre culture se la réapproprie. Même si c’est d’une manière surprenante et dérangeante.
La Bible détournée dans la presse :
La grande presse quotidienne ou hebdomadaire est un média important, qui véhicule des exemples de détournements bibliques au profit de buts les plus divers : sport, politique, militance active et droits humains, économie, culture. L’une des expressions de ce détournement est la caricature, la satire, le dessin humoristique.
Cette expression a de surcroît une longue tradition inaugurée par la Réforme : il suffit de penser aux images satiriques et sarcastiques imprimées sur des feuilles volantes, et largement diffusées à l’époque en Allemagne, qui opposaient la « vraie Eglise » de la Parole de Dieu à la « fausse Eglise » romaine.
Aujourd’hui les objectifs ont changé, mais le principe reste le même. Il y a plusieurs années le quotidien italien de gauche L’Espresso osait mettre en page de couverture une femme enceinte et nue crucifiée, pour indiquer son opposition à la position vaticane concernant le référendum italien en faveur de l’avortement. Le 31 octobre 1997 le journal allemand Die Zeit faisait sortir le chancelier Kohl d’un tombeau ouvert, auréolé des étoiles européennes à la manière du Christ ressuscitant d’un tableau de Mantegna, pour exprimer le prestige européen de l’acteur de la réunification allemande. Une caricature a salué la naissance de la monnaie européenne en représentant les dirigeants français et allemands en Joseph et Marie autour de la crèche d’où sortait une pièce d’un Euro, tandis que le premier ministre anglais était représenté avec des oreilles d’âne, à côté d’un bœuf. Plantu et Pancho, caricaturistes bien connus au Monde, n’hésitent à exprimer des thèmes de l’actualité sociale et politique en empruntant à l’iconographie biblique. Il n’est pas jusqu’à l’émission satirique des Guignols de l’info, sur Canal +, qui ne représente Chirac en réincarnation du Christ des Evangiles, depuis sa double opposition à Le Pen et à la guerre en Irak.
Il a dit :
« L’Ecriture en esprit et en vérité, c’est moins ce qui est écrit, que l’Esprit qui fait écrire ».
Stanislas BRETON
J.Cottin
Pour poursuivre...
– Alain Besançon, La Bible parodiée. Paraphrases et parodies. Paris, Cerf, 1993.