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Publicité, médias et religieux

La Bible, citée dans la publicité commerciale

Instrumentalisation, ou quête de sens ?

Depuis plusieurs années, la Bible fait irruption dans les publicités de rues ou dans nos journaux et magazines.Dans les pays où les Eglises sont majoritaires et où la législation le permet (Suisse, Allemagne), on voit apparaître des publicités invitant la population à redécouvrir et à lire la Bible. Ce n’est toutefois pas de ce type de publicité que je voudrais parler, mais de celle produite par les milieux économiques et les entreprises commerciales, par nature indifférents aux questions religieuses. Pourquoi citent-ils la Bible, et comment ?

Elle peut d’abord être cité en tant que livre : la Bible est montrée en tant que livre ancien, grimoire (ce qui peut être une manière de la situer exclusivement dans l’histoire, dans le passé) : elle donne alors une valeur d’authenticité, de pérennité, à l’objet montré à ses côtés (qui peut être une voiture ou un paquet de lessive). Il en va de même quand il est question des récits des origines (Genèse 1, et Genève 2-3) : en parlant de la création originelle, d’Adam et d’Eve, on évoque l’idée que le produit présenté est aussi ancien que l’être humain -voir qu’il le précède - et qu’il a lui aussi été créé par Dieu. La reprise des récit de la création par la publicité constitue - et de loin - le thème le plus fréquemment utilisé.

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Cette publicité reprend le motif d’Adam et Eve au jardin d’Eden (Gn 2-3).

Mais la publicité cite la Bible de bien d’autres manières : à travers la mise en scène de ses personnages les plus célèbres et les plus populaires (Noé, Moïse, Jésus, Marie, Pierre ou - plus rarement - Paul). L’importance du personnage donne un supplément de notoriété au produit. Parfois, ce n’est pas simplement le personnage, mais l’histoire qui lui est lié qui est évoquée : ainsi avec des représentations du déluge (Gn 6-9), des compagnies d’assurances évoquent l’idée qu’elles nous aideront à surmonter un cataclysme universel. Avec la mort (victorieuse) de Jésus sur la croix, on évoquera l’idée d’une vie triomphant du mal (publicité de Renault).

Parfois, ce sont des versets bibliques connus qui sont cités, soit de manière littérale, soit de manière parodique. Quelques exemples : "Que celui qui a des oreilles pour entendre, entendre" (Lc 8, 8), slogan publicitaire français pour des appareils de musique. En Allemagne, "An Anfang war das Wort" (Jn 1, 1), est très souvent utilisé différentes publicités. Une entreprise française a cité, presque littéralement, les Dix commandements, pour montrer que cette entreprise respectait les lois et avait l’éthique du travail. En Suisse, pour vanter une voiture familiale, une marque de voiture cite le verset "Croissez et multipliez" (Gn 1, 28) en indiquant même sur la publicité le livre biblique, le chapitre et le verset. "Toi, suis-moi" (Mt 9, 9) est utilisé pour des jeans (l’appel biblique se détache sur un jean porté par une jeune fille aux formes évocatrices, montrée de dos). Quand les versets bibliques sont cités de manière parodique, cela donne par exemple le slogan "Rendez aux piétons ce qui appartient aux piétons" (inspiré de Mt 22, 21), une publicité française de la sécurité routière ou encore des extraits du Notre Père : "Notre massepain quotidien" évoquant bien sûr la 4e demande du Notre Père (publicité suisse).

Ces versets bibliques sont toujours détournés de leur fonction première. Leur sens est souvent inversé, comme une publicité d’une banque allemande pour un investissement boursier, montrant un chameau passant par le trou de l’aiguille (Lc 18, 25) avec, sur son dos, une côte financière de la bourse en hausse. Alors que Jésus condamne l’homme riche, la publicité suggère l’inverse : enrichissez-vous par les profits boursiers.

Dans les pays de culture catholique, ce sont le paroles bibliques reprises dans la liturgie que l’on trouve le plus souvent comme "Amen", "Alleluia", "Heureux...", "Loué soit.." "Bénis...", ou encore des prières ou demandes d’accomplissement ("Délivre-nous", "Protège-nous", "Ecoute") à un Dieu qui est souvent évoqué sans être nommé (il ne faut pas choquer les non croyants), mais qui parfois est appelé "Dieu", ("Et Dieu dans tout ça ?", slogan pour la radio française RTL ou même "Seigneur". Ainsi une publicité française pour les carrés Suchard, a même osé ce slogan, (1995) "C’est une épreuve que le Seigneur nous envoie", en montrant une belle jeune femme africaine nue transformée en carré de chocolat.

De nombreuses publicités imaginent des histoires autour de problématiques bibliques comme le péché et le pardon, la tentation, le mal, les miracles, voire même la vie future et le Royaume de Dieu. Il s’agit de reprises très indirectes, de thèmes popularisés et folklorisés, mais dont les racines sont bien bibliques.

Enfin, il faut noter une dernière manière de citer les textes et récits bibliques : par la médiation des œuvres artistiques de l’art chrétien. On ne compte plus les reprises publicitaires des fresques de Michel Ange dans la chapelle Sixtine à Rome ou de son David à Florence, ou encore de la Cène de Léonard de Vinci à Milan. Cette manière de citer la Bible est très ouverte, car tous s’y retrouvent. Le croyant reconnaîtra une œuvre religieuse, tandis que le non croyant appréciera l’œuvre artistique indépendamment de son origine religieuse.
Ce phénomène est général, même si en France par exemple, il tend à diminuer, de part de la pression croissante de l’Eglise catholique, qui a récemment intenté des procès contre des publicités utilisant de manière trop voyante et trop provocante des références chrétiennes (publicité Girbaud).

Que penser de ce phénomène ? Le lecteur de la Bible peut se sentir offensé, choqué, et voir là un nouvel empiètement du commerce et du profit sur la gratuité de la relation à Dieu, médiatisée par le lecture de la Bible. Mais on peut aussi se réjouir du fait qu’il existe encore une mémoire biblique dans notre société (même si elle est très lacunaire), qui rend possible de telles utilisations, qui ne sont pas toutes des instrumentalisation. Ces publicités peuvent être l’occasion de redécouvrir, par le biais du jeu, de l’humour et de la parodie, les récits bibliques dans leur version originale.

Jérôme Cottin, septembre 2007.