Paris, Presses universitaires de l’Ouest, 2015, 290 pages + un cahier en quadrichromie de 20 pages. € 30. www.pressesparisouest.fr
Paul-Louis RINUY, Isabelle SAINT MARTIN (éd.)
Paraissent enfin les actes d’un magistral colloque qui eut lieu à Paris en 2009. C’est dire la difficulté, aujourd’hui, de publier des collectifs, encore plus quand il s’agit d’actes de colloques. Cela dit, cela valait la peine d’attendre. La mise en page est soignée, l’iconographie présente (dans le corps du texte comme dans un cahier en quadrichromie en fin de volume), même si, évidemment, on l’aurait souhaitée plus importante.
La thématique, originale en histoire de l’art et des représentations - mais assez typique d’un retournement de tendance de la post-modernité - est d’étudier les développements contemporains d’un thème iconographique qui traversa tout l’art chrétien - orient et occident - pendant de longs siècles : celui de l’apparition du visage du Christ, auto-imprimé sans la médiation de la main humaine, selon différentes légendes. D’où le nom de "vraie image", ou "Sainte Face", ou Vera Icon (qui va donner le nom de Véronique, laquelle est un personnage liée à cette histoire "photographique" avant l’ère de la photographie), ou encore image acheiropoïète, "non faite de main d’homme". On s’en doutait, mais on en a ici la preuve, ce sujet, o combien marqué par la tradition chrétienne (mais non par l’Ecriture, le dogme ou la théologie), reste présent, même en contexte d’un art autonome, sorti de la chrétienté. Mais il est, comme les autres thèmes chrétiens, retravaillé, ré-élaboré, transformé, cité au second degré, joué, pixelisé etc..
L’ouvrage, auquel ont participé 16 auteurs - essentiellement des universitaires - + un artistes sculpteur, Denis Montfleur, est structuré en 4 grandes parties :
1. "Sainte Face et visages christiques" : Une reprise assez classique du motif iconographique traditionnel (visage coupé au niveau du coup, frontalité absolue, absence de toute expression et éléments anecdotiques, simplification des lignes et des traits), dans l’art du 19e siècle, chez Georges Rouault, Maurice Denis ou même Manessier qui, quoique abstrait, reste assez traditionnel dans l’approche de ce thème.
2. Puis vient une thématique générale autour de "L’artiste en Christ". Depuis le 19e siècle (si on prend en compte la notoire exception de l’’autoportrait en Christ de Dürer de 1500, un modèle indépassable), de nombreux artistes se présentent sous les traits du Christ, et plus particulièrement d’une "vraie image" du Christ. Le 19e siècle est encore présent (ce qui confirme la thèse de Isabelle Saint Martin d’une continuité plus que d’une rupture entre les deux siècles). C’est dans ce cadre que le soussigné a écrit un article intitulé : "La ’vraie image’ et les autoportraits en Christ au XXe siècle : similitudes et différences" (pp. 129-154). Un éclairage particulier est donné par Ségolène Le Men, sur L’Homme à la pipe (vers 1846-48) de Gustave Courbet (un autoportrait "christique").
3. "Regards contemporains : visages du Christ en figure et abstraction". La question de la figuration entre maintenant en scène. Avec des études, entre autres, sur Sarkis (Sylvie Barnay), Arnulf Rainer (P-L Rinuy), une oeuvre acoustique de l’artiste suédois, Leif Elggren s’inspirant de la Sainte Face du graveur français Claude Mellan (1688) (Caroline Levisse) ; on notera une intéressante étude de Itzhak Goldberg sur "Dieu sans visage : vision de la divinité dans la tradition juive" (pp. 201-210). Manque une étude sur les visages christiques de Jawlensky que I. Goldberg connaît parfaitement.
4. "Suaire, voile, linceuil....cinéma et photographie". Puis arrivent le cinéma et la photographie, dont on sait à quel point ils ont été interprétés en termes d’images acheiropoïètes (et à l’inverse on dit de ces images qu’elles sont les premières photographies ou écritures avec la lumière). Philippe Kaenel, qui a beaucoup travaillé sur le Suaire de Turin nous propose une synthèse sur "Véronique et imaginaire photographique au XXe siècle, Valentine Zuber explore ce thème dans le cinéma et François Soulages dans la photographie. Cette ultime partie est aussi l’occasion de s’intéresser au support matériel de la représentation, idéalement un linge ou suaire, qui est ensuite devenu toile cinématographique ou pellicule photographique (mais qu’en est-il de cette analogie avec le passage de l’argentique au numérique ?).
Cet ouvrage montre à quel point le thème du Christ, mêlé à celui du visage, reste présent dans l’art contemporain aussi bien que post-moderne.
Jérôme Cottin