Acceuil
Réflexion

IV. La publicité

On n’aurait pas considéré la publicité, il y a quelques années, comme un des lieux de culture. Pourtant, elle l’est ou elle l’est devenue. Non dans sa fonction commerciale, mais dans les rapports qu’elle entretient avec l’art et la culture - actuelle ou passée - qu’elle réinterprète, recycle. Les liens entre l’art et la publicité sont multiples et réciproques : de nombreuses pub s’inspirent d’œuvres d’art - certaines deviennent même des œuvres exposées, montrées dans des musées - tandis que des mouvements artistiques s’inspirent de publicités (Andy Warhol et le Pop Art). Par ailleurs, la publicité est maintenant partout, dans l’espace public de la rue comme dans la sphère privée, sous forme d’image fixe ou animée ; beaucoup sont banales ou vulgaires, d’autres sont en revanche subtilement élaborées. C’est évidemment à ces dernières que nous nous intéressons.

A ce premier constat s’en ajoute un second : depuis une dizaine d’années les thèmes religieux dans la pub, sans être omniprésents, font cependant surface à certains moments (surtout avant les grandes fêtes chrétiennes). Un signe que le religieux intéresse à nouveau, puisqu’une des règles de la publicité est qu’elle ne montre que ce qui intéresse, que ce qui plaît et séduit. Ce religieux n’est d’ailleurs pas uniquement chrétien : on trouve toutes les tendances religieuses actuelles : bouddhisme, New Age, syncrétisme, astrologie, religions tribales, indianisme, méditations zen, vie monastique, anciens mythes celtiques etc.. Deux exceptions toutefois, et de taille : le judaïsme et l’islam, marqués par un strict refus de l’incarnation et de l’image, sont quasiment absents de toute publicité.

Le christianisme, de part son poids historique, et grâce à l’immense réservoir de figures, thèmes, symboles qu’il offre, se taille toutefois la part du lion : on pourrait presque publier une Bible, entièrement illustrée par des publicités : les principaux personnages et récits de la Bible y sont : Adam et Eve, Noé, Moïse, Dieu, Jésus, Marie, le paradis originel (thème le plus représenté), le déluge, les 10 commandements, la dernière Cène, mais aussi quelques paraboles et rencontres de Jésus. Parfois, des versets bibliques sont cités, le plus souvent de manière déformée ou parodiée : « Paix sur la terre » ; « Que celui qui a des oreilles pour entendre... » , « Rendez à César.... » , « Heureux.... ». Quelques demandes du Notre Père (« Donne nous notre pain quotidien... ») sont aussi présentes, preuve que la prière du Seigneur reste populaire. ; elle est encore connue du grand public.

Ce n’est pas tout. Des thèmes classiques de la théologie chrétienne, popularisés pendant des siècles dans la liturgie dominicale, sont maintenant repris dans certaines pub, de manière littérale ou déguisée : la faute et la culpabilité, le pardon, la peur de la mort, l’attente d’une vie après la vie, la communauté, les sacrements, l’au-delà, la lutte entre le bien et le mal, les anges et les démons etc.. Comme si une nouvelle liturgie se donnait à tous, à travers les mots, les couleurs, les formes et les images des rues. Deux thèmes - considérés comme désuets il y a peu - réapparaissent en force dans les publicités : la Loi (les Dix commandements) et le diable.

Devant cette liste impressionnante, le lecteur se dira peut-être : mais toutes ces allusions chrétiennes, je ne les vois pas ! C’est vrai. Le plus souvent, cette symbolique religieuse, on ne la voit pas : elle est si discrète qu’elle nous échappe. Pourquoi ? Parce qu’il s’agit d’un langage tellement courant, tellement connu qu’on ne le perçoit plus. Et puis les publicitaires ont fait en sorte que l’allusion soit discrète, presque imperceptible. Cela, pour ne pas choquer le croyant qui se sentirait blessé dans sa foi ou, à l’inverse, l’incroyant qui n’a que faire d’un message religieux. Il faut un langage qui s’adresse à tous, au plus grand nombre. En même temps la publicité doit aujourd’hui délivrer du sens, avoir une profondeur symbolique. Sinon elle sera considérée comme artificielle, peu intéressante : voilà pourquoi on va puiser dans la symbolique chrétienne.

Et puis, suprême renversement de tendance : le religieux est parfois présent à l’insu même des créateurs. Il y a un « inconscient religieux » dans le message publicitaire, comme l’avait remarqué il y a fort longtemps Roland Barthes. Voilà qui en dit long sur l’émancipation prétendue de notre société par rapport au fait religieux.

Les Dix commandements et la pub.

On a souvent noté la permissivité des publicités, et qui tentent de repousser toujours plus loin les limites de ce qui est permis et défendu, de ce que l’on peut ou ne peut pas montrer. Cela, bien sûr, afin d’attirer l’attention et de gagner une audience la plus grande possible. Dans cette optique, il n’y a rien de mieux qu’une publicité faisant l’objet d’un scandale pour attirer l’attention sur elle et donc sur ce qu’elle doit faire vendre. Toscani, le célèbre photographe de Benetton, était passé maître dans cet art, avec ses publicités à la limite du mauvais goût et du scandale éthique. On s’en souvient : un prêtre embrassant une religieuse, un mourant du sida, la chemise maculée de sang d’un fusillé bosniaque...tout cela pour nous faire acheter des pull-overs de la célèbre marque italienne.

En revanche, on a été moins attentif au mouvement inverse : le retour de la loi, l’exigence morale, vantés par la publicité. Dans une société de plus en plus permissive, la tendance à retrouver des repères éthiques, à donner plus de place à la rigueur morale sont aussi des aspirations largement partagées. Il faut retrouver une certaine moralité, dans les mœurs, dans le commerce, dans la gestion de l’entreprise, dans l’éducation. L’interdit redevient une valeur positive.

C’est dans ce contexte que sont apparues des publicités s’inspirant des 10 Commandements : une entreprise de restauration vante ses mérites en alignant dix principes éthiques à côté d’un portrait de Moïse (le Moïse de Michel Ange) qu’elle intitule : « les lois de la Table » ; telle autre invente un « onzième commandement » : celui de consommer son produit. Une publicité présentera son slogan sous forme d’inscription gravée sur deux tables de marbre : impossible alors de ne pas penser au Décalogue. C’est bien la preuve que les commandements de Moïses restent populaires ; ils ont résisté à l’oubli.

Ils ont dit :

«  Le pain, c’est divin  » ; «  Dans 2000 ans, on parlera encore de Jésus  » (Jeans Jésus) ; «  Et Dieu dans tout ça ?  » (RTL) ; «  La croix protège de tout, même de l’invisible  » (Javel Lacoix) ; «  Rendez au piétons ce qui appartient aux piétons  » (sécurité routière).
Slogans publicitaires.

J.COTTIN

Pour poursuivre...
 Dieu et la pub ! Jérôme Cottin et Rémi Walbaum, 1997 (en savoir plus)