Midmarch Arts Press, New York 2004, 191 pages et de nombreuses illustrations en noir et blanc.
Auteur : Eleanor HEARTHNEY
Catholique engagée, Eleanor Hearthney est critique d’art et écrit régulièrement pour Art in America, The New York Times, The Washington Post, The New Art Examiner et Art Press. Elle est aussi l’auteur des ouvrages : Critical condition : American Culture at the Crossroads et Postmodernism.
Dans ce livre, l’a. prend en compte le contexte politique et social propre aux USA où, à partir des années 80, quand la droite religieuse a commencé à détenir un pouvoir politique considérable, le champ de l’art contemporain est devenu avec la Culture War, guerre de la culture, un des principaux terrains de lutte. De nombreuses polémiques autour de l’emprunt de symboles religieux par des œuvres jugées sacrilèges ont vu le jour. Consciente de ces phénomènes, l’a. s’interroge sur plusieurs points : pourquoi des artistes réputés catholiques sont ils si présents dans la guerre de la culture ? Peut-on trouver des racines religieuses à l’origine de leurs œuvres souvent perçues comme blasphématoires, sacrilèges voire même pornographiques ? Pourquoi une représentation incarnée est-elle potentiellement si éruptive ? En quoi ces conflits sont-ils proprement américains ?
Pour articuler ces différentes perspectives, l’a. forge le concept d’imaginaire catholique qu’elle oppose à celui du protestantisme. Ce dernier plus focalisé sur la transcendance se reconnaîtrait dans la quête du sublime de l’expressionnisme abstrait tandis que l’imaginaire catholique laisserait une plus large place au charnel. Le corps est alors ressenti à la fois comme le lieu de la déchéance de l’homme et celui où peut se produire sa plus grande proximité avec le divin comme, par exemple, lors de l’eucharistie. L’a. regroupe l’œuvre d’artistes (A. Warhol, A. Serrano, Kiki Smith, R Mapplethorpe, Finley et Gober...) selon des critères renvoyant à leur rapport au corps qui, pour la plupart d’entre eux, trouve ses racines dans leur éducation catholique. Ainsi trouve-t-on, un chapitre intitulé « Corps et Esprit », « Hors la loi et paria, les artistes catholiques gays », « Les corps mis à l’épreuve, rituels de sang et résistance », « les corps corruptibles : la morbidité catholique » et « la connaissance par le corps : une perspective féministe ».
Tous les artistes convoqués par l’a. se rejoignent pour témoigner dans leur œuvre que la connaissance, la transcendance ou la rédemption ne passent que par le biais du corps humain imparfait. Par exemple, dans « A. Warhol, Somebody With a Body » , jeu de mot que l’on pourrait rendre par une personnage mais aussi un corps, l’a. défend l’idée que le lien de l’artiste au religieux va au-delà de l’iconographie, qu’il englobe toutes ses obsessions et permet de rendre compte à la fois de l’ancrage de son travail dans la culture populaire et de sa thématique souvent tournée vers l’expression de la fragilité de l’homme (accident, portraits de femme marquées par la vie..) et la mort (la chaise électrique..). Au final, Andy Warhol, homosexuel catholique pratiquant, apparaît comme un homme en conflit dont la spiritualité s’exprime dans des œuvres où transparaît la complexité de sa situation où religion et culture entrent en conflit.
Bien documenté et accompagné d’une bibliographie suffisante, ce livre est passionnant car il nous introduit dans une problématique étrangère à nos préoccupations habituelles en même temps qu’il nous donne des clés pour réfléchir sur des œuvres au premier abord souvent sacrilèges ou blasphématoires ainsi que sur une articulation possible entre art contemporain et religion.
Martine GRENIER