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Réflexion

II. La photographie

La photographie n’échappe pas à la tendance de la culture d’aujourd’hui, qui consiste à retrouver la Bible par des voies détournées, par le biais de l’inspiration artistique. Une Bible évidemment transformée, actualisée, choisie selon les intentions propres et la vision subjective de l’auteur de l’œuvre, et non selon les critères de la prédication de l’Eglise. Avant de voir la redécouverte de la Bible par la photographie, il faut dire un mot de la nature « religieuse » de la photographie, vécue par certains comme un véritable acte de foi. Plusieurs raisons expliquent cela.

Une raison anthropologique. Il y a d’abord le fait que la photographie s’intéresse à la personne humaine, au corps, à l’individu dans son unicité et sa singularité. La photographie n’a jamais évacué le corps, le visage, alors même que la peinture, hantée par l’absence de figuration, s’en détachait. Les corps, qu’ils soient vêtus ou nus, glorieux ou souffrants, solidaires ou solitaires nous renvoient à l’incarnation, la présence unique d’une personne - le Christ ou son image, l’humain. On ne peut en effet pas photographier une personne absente. La photographie dit ainsi une présence, même et peut-être surtout quand cette personne n’est plus. Elle rend présent l’absent. Une démarche proche de l’écoute de la prédication, où l’on cherche à retrouver le Christ derrière la Parole qui l’annonce et l’énonce. On ne sera pas étonné que ce soit Roland Barthes, de culture protestante, qui ait écrit parmi les plus belles pages sur les relations entre la photographie, le souvenir d’une personne, la trace et l’absence [1].

Une raison technique. Il y a ensuite le fait que la photographie, de par sa technique même, est l’expression d’une certaine magie, d’un « miracle » : tout se passe sans l’intervention de l’homme. Elle est une épiphanie. On verra alors dans ce moment technique de l’impression des photons lumineux sur la pellicule photosensible comme une allégorie de la Grâce ; comme s’il fallait que l’homme se retire pour que la magie photographique puisse accomplir son œuvre. A l’origine de toute photographie, il y a le miracle de l’impression d’une trace de lumière sur la matière.

Une raison religieuse. Il y a enfin la forte inspiration - souvent revendiquée par les photographes eux-mêmes - de légendes chrétiennes qui voient dans certaines reliques du Christ les ancêtres de la photographie. Il s’agit de légendes qui mettent en scènes des images acheiropoiètes, c’est-à-dire « non faites de main d’homme ». Ces images prétendent en effet nous révéler la « vraie image », le vrai visage du Christ, autrement dit sa photographie. Les plus connues de ces légendes qui reposent sur une « photographie » du Christ sont celles relative au Suaire de Turin, la légende du roi Abgar, et l’épisode apocryphe du voile de Véronique (=Vera Icon, vraie image). Tous ces récits parlent d’un portrait du Christ qui se serait imprimé mécaniquement sur un linge.

Quelques exemples de photographies bibliques ? On se souvient des photographies de Bettina Rheims sur la vie du Christ, exposées et publiés sous le titre I.N.R.I. avec l’image provocatrice d’une femme crucifiée (thème très exploité au début du 20e siècle par ceux et celles qui dénonçaient l’exploitation et la marginalisation des femmes dans la société). Le thème de la femme cruficiée reste toujours d’actualité. Début 2001, l’exposition, à New York, de la photo d’un Christ sous l’aspect d’une femme noire et complètement nue, les bras en croix, devait générer une polémique entre le maire (catholique) de la ville et les admirateurs inconditionnels de l’artiste.

Récemment, eut lieu à l’hôtel de Sully à Paris, sous le titre Corpus Christi, une rétrospective de 150 ans de photographies d’images bibliques. Le résultat était saisissant. En nous donnant à voir des photographies de la vie (reconstituée) du Christ, le photographe veut-il faire des spectateurs les contemporains et compagnons du Christ à l’égal des disciples ?

Après quelques décennies d’éclipse, il semble bien que les thèmes religieux soient de nouveau redécouverts par les photographes sous différents modes : photo-reportages, fictions, photographies commerciales, manifestes militants... La photographie bénéficie également de l’inspiration biblique présente de manière permanente dans le cinéma, avec laquelle elle partage le domaine de l’image « vraie ».

Les photographies « protestantes » d’Olivier Christinat

Un jeune photographe lausannois a exposé récemment à Paris une importante série de nus, en donnant à chaque photographie un titre biblique : La femme de Lot, En attendant le Saint-Esprit, Jeune Christ, Le complexe de Sem et Japhet, L’échelle de Jacob etc. L’artiste n’hésite pas non plus à se représenter sous les traits du Christ ou de Dieu : Christ couché, Dieu tenté par le hasard, La soif de Dieu, Dieu ne sachant que faire de sa toute puissance . Dans, Le repas (la Cène) il se représente 12 fois assis derrière une table en habits différents, comme l’unique portrait des 12 disciples ; il efface pourtant son visage au moment de représenter le Christ. Lui n’est pas son portrait. Cette conjonction entre art et religion, Bible et photographie a intéressé et interrogé la critique. Le créateur reconnaît en effet qu’il trouve dans la Bible une source d’inspiration exceptionnelle, le lieu d’un imaginaire inépuisable.

Mais il y a plus encore dans la création d’Olivier Christinat : on reconnaît dans ses photographies, retravaillées au ferro-cyanure, une marque typiquement protestante, calviniste même : les photos sont retouchées pour constituer des aplats sobres faits de gris chatoyants. Elles se concentrent sur la personne dans sa nudité. Pas de décors, pas d’objets, pas de paysages. Ou alors, pas de présence humaine, mais un indice seul, présence qui indique une absence. Ce que Christinat photographie alors, c’est le vide, le mystère, l’Esprit Saint. Parfois, il n’y a rien d’autre à voir qu’une surface plane, tamisée. Ce sont des photographies sans images, iconoclastes. Des fonds unis et vides, mais en même temps pleins d’une spiritualité à vivre plus qu’à voir. La photographie intitulée Interdit de l’image, symbolise une spiritualité protestante toute entière centrée sur le croire, et non sur le voir.

Il a dit :

«  Observer l’image du Christ à travers les interprétations de photographes conduit le spectateur à découvrir un nouvel Evangile photographique, dans lequel chaque artiste ajoute quelque chose de personnel et rend le Christ plus humain  »
Nissan PEREZ, (Conservateur pour la photographie au musée d’Israël, Jérusalem).

J.Cottin

Pour poursuivre...
 Olivier CHRISTINAT, Photographies apocryphes, (100 photographies) Paris, Marval, 2000.